Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
196
AUX VEILLÉES DE NOËL

II

Voilà. La Jeanne-Augustine était une goëlette de Paimpol. Contrairement au « petit navir » de la chanson, elle avait beaucoup navigué. Un peu vieille, un peu décatie, avec quelques rhumatismes à sa grosse membrure de chêne, — brave, tout de même, et pas geignarde. Elle avait fait jadis les grandes pèches ; maintenant, on l’utilisait aux voyages de Norvège, pour les bois. Une demi-retraite. Partie, fin de novembre, pour Dronthem, elle avait eu, à l’aller, mer douce et joli vent de suroît. Double faveur en cette saison et dans ces parages. Le retour, en revanche, fut pénible. On n’eut pas plus tôt quitté le fjord que les brumes se mirent à tisser leurs toiles d’araignées entre mer et ciel. On aurait cru nager dans de la ouate. Air et eau, ça ne faisait qu’un. On flottait dans cette étoupe, à l’aveuglette. Marchait-on ? virait-on sur place ? On n’en savait rien. Nul clapotis à l’avant. Comme temps, un crépuscule ; un entre-deux de lumière et d’ombre, ni jour, ni nuit. Pas de vent. Les voiles pendaient grises et mortes.

— Combien de lieues, capitaine ? demanda le second.

— Une trentaine environ.

— Si ça continue, nous arriverons à Paimpol l’année prochaine.

— Ce serait encore de la chance, puisque l’année prochaine s’ouvre dans huit jours.