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LA CHARLÉZENN

Dès le seuil, elle s’arrêta. Il y avait dans la « loge » un inconnu. Ce devait être un passant d’importance, car la vieille Nann lui avait cédé l’unique escabelle. La flamme du foyer éclairait à plein sa figure. Ce n’était pas un paysan, à en juger par ses moustaches, qu’il portait relevées aux deux coins de la bouche. D’ailleurs, sa peau était blanche même aux mains, qu’il tenait croisées autour du genou. Au petit doigt de l’une d’elles une escarboucle brillait. La taille de l’étranger était serrée dans un justaucorps de cuir parsemé de têtes de clous luisantes comme de l’or. À ses pieds était couché un grand lévrier au poil fauve qui se dressa sur les pattes et se mit à grommeler, dès que la Charlézenn parut.

L’homme se leva, caressant son chien pour l’apaiser.

— Viens donc, sauvagesse ! glapit la vieille Nann. Voici près d’une heure que tu te fais attendre.

— Vous savez bien que j’arrive quand bon me semble, répondit la Charlézenn qui, pour la première fois, prenait ombrage du ton impérieux de la vieille, sans doute parce que cet homme était là.

— Apprends à mieux parler, poussière de grand chemin ! Sache que celui que voici est le fils aîné du seigneur de Keranglaz, ton maître et le mien, après Dieu !

— Et vous, la vieille, sachez que je ne reconnais personne pour mon maître,… pas plus d’ailleurs que pour ma maîtresse. À bon entendeur, salut.

Ce disant, elle tournait déjà les talons et s’apprêtait à reprendre la porte, laissant là sa mère-nourrice suffoquée de rage, quand Keranglaz le fils se précipita pour l’arrêter.

— Belle fille, dit-il d’une voix très décidée et cependant très douce, je n’ai commis nul manquement envers