II
C’est ici que commence à vrai dire l’histoire de la Charlézenn.
Elle vivait avec une vieille femme de mœurs équivoques qui l’avait
ramassée on ne savait où, il y avait de cela bien longtemps. Cette
vieille l’avait nourrie depuis lors des aumônes qu’elles
recueillaient toutes deux de-ci de-là, mais plus encore de coups
de bâton. Car la vieille Nann, — elle n’était connue que sous
ce sobriquet à cause de certain tic qu’elle avait et qui lui faisait
branler incessamment la tête, comme pour dire : Non —, car la
vieille Nann était une vilaine groac’h, acariâtre hargneuse. À
toute heure du jour et de la nuit, depuis que la Charlézenn avait
dépassé la quinzième année, elle lui criait aux oreilles de
sa voix aigre :
— Ah ! si j’avais ton âge et ton corps ! Si j’avais ton âge et ton corps !…
Et comme la Charlézenn, qui n’entendait rien à ce langage, se contentait d’ouvrir démesurément ses grands yeux limpides, couleur de ciel d’avril, la groac’h se mettait à la battre, à la battre, de toute la force de ses vieux bras décharnés.
— Il faudra bien que tu comprennes ! hurlait-elle.
Un soir, la Charlézenn comprit…
Elles habitaient à cette époque, la vieille Nann et elle, une ancienne hutte de sabotiers, abandonnée par les nomades ouvriers qui l’avaient construite et située sur