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LA LÉGENDE DE MARGÉOT

Cette fois le vieux Gohéter avait craché toute sa phrase en un seul bloc. Margéot arpentait la salle à grands pas. C’était signe chez lui de graves préoccupations. Il avait les mains derrière le dos et faisait craquer les os de ses doigts avec le bruit sec d’un fusil qu’on arme.

— Cette barrique est dans la grange ? grogna-t-il, au bout d’un instant. Va dire qu’on l’amène ici… Oui, triple bête, ici où nous sommes !

… Quant Margéot prétendait avoir acheté tous les gabelous de la région, il exagérait. D’abord, il n’eût pas commis la sottise de vouloir corrompre les chefs. En supposant même qu’ils eussent accepté un marché de ce genre, c’eût été se mettre à leur merci. À quoi bon d’ailleurs ? Il n’avait rien à faire avec les chefs. Ce ne sont pas eux qui montent les gardes de nuit, dans les petits sentiers de falaise, au long des flots. Non. Il avait tout bonnement désintéressé quelques employés subalternes, quelques pauvres hères, qui ne pouvaient trouver de profit à faire leur devoir qu’à la condition d’y manquer sans cesse. C’étaient pour la plupart des malheureux chargés de famille. Ils servaient tant bien que mal le gouvernement, qui les payait à peine ; ils fermaient les yeux sur les agissements de Margéot qui leur donnait l’aisance.

Un d’eux, un sous-patron, avait reçu de l’avancement, une quinzaine de jours auparavant, et avait dû rejoindre dare-dare son nouveau poste. Un jeune homme l’avait remplacé, un Français de l’Est, une petite frimousse imberbe, mais résolue. Margéot avait été prévenu de cette mutation par un de ses amis de Pontrieux. Mais le billet de l’ami ajoutait : « Rien à craindre ; c’est un blanc-bec, un enfant, presque une fille ». Margéot, dès lors, ne s’en était pas autrement soucié. En quoi il eut tort.