Page:Le Braz - Vieilles histoires du pays breton, 1905.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120
VIEILLES HISTOIRES DE PAYS BRETON

— Je t’apporte au contraire un fût bien plein, un énorme foudre de gin qui a failli défoncer la voiture.

— Et c’est cela qui te rend maussade ?

— Pas précisément.

Gohéter tenait dans sa dextre sa pipe éteinte, une vieille pipe crasseuse aussi noire que son âme. À petits coups, il heurtait le fourneau renversé contre la paume de sa main gauche. Lorsque le culot se fut enfin détaché il continua :

— Je ne sais : mais, depuis quelques jours, je me croise en route avec un bonhomme qui ne me dit rien de bon.

— Tu ne le connais pas ?

— Non. C’est un nouveau-venu dans le pays. Mais ou je me trompe fort, ou c’est un ambulant[1].

— Bah ! est-ce que tous les gabelous ne sont pas à notre dévotion ? Nous les payons assez cher, fichtre !

— Je te dis ce que j’ai vu. Écoute mon conseil. Méfie-toi.

— C’est bien, on so méfiera. Est-ce tout ?

— La barrique que j’ai apportée n’était pas facile à dissimuler, poursuivit Gohéter-Coz, en tirant ses mots par les cheveux.

— Explique-toi donc enfin, vieille brute ! s’écria Margéot impatienté.

— Eh bien ! oui, là ! l’homme m’a interpellé d’un ton goguenard. « Voilà une belle charretée de fumier ! » m’a-t-il dit, « il y aura de quoi moissonner après ça ! » Je lui eusse volontiers fendu le coffre, mais tu as défendu les coups.

  1. (1) On appelait ainsi des douaniers qui, le jour, portaient des vêtements bourgeois et qui étaient comme la police secrète de la douane.