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LA LÉGENDE DE MARGÉOT

Secondement, les marchandises seraient débarquées à l’île Verte, à l’embouchure du Trieux. Des bateaux de Loguivy et de Lanmodez les transporteraient, de nuit, en rasant la côte le long des landes pierreuses et désertes de Plourivo et de Quemper-Guézennek, au souterrain qui, partant du château de la Roche-Jagu, venait déboucher sur la rivière.

Les habitants de ce château transformé en simple ferme étaient pauvres et besogneux. Ils ne demanderaient pas mieux que de participer aux bénéfices de l’association. À l’aube, les charrettes pleines quitteraient la cour du manoir et se dirigeaient sur Kercabin, l’entrepôt central. Les douaniers n’y verraient que du feu. Comment suspecter de paisibles tombereaux qui paraissent chargés de betteraves, de patates ou de blé, et qui cheminent au pas de leur attelage, conduits par un brave homme de paysan, à mine bonasse, le fouet à la main et la pipe aux dents ?

— Car tu pourras fumer ta pipe, Gohéter-Coz, conclut Margéot, si toutefois tu consens à être ce conducteur. Ne sera-ce pas plaisir pour toi, vieux flâneur de grandes routes, de t’en aller ainsi au joli petit soleil du matin, criant hue ! à tes bonnes juments, écoutant siffler les merles dans les baies, et « bonjourant » d’un air cordial messieurs les gabelous ?

Pour le coup, Gohéter-Goz fut conquis. Comme le loup de La Fontaine cet idéal de félicité le fit presque pleurer de tendresse.

Margéot n’eut plus qu’à distribuer les autres rôles. Il fut convenu que Clerc Chevanton, l’homme débrouillard, se fixerait à Loguivy, à portée de Paimpol. Pipi Luc se bâtirait un ermitage à Pile Verte, et Panch-Ann-Tign s’engagerait soi-disant comme domestique à La Roche-Jagu,