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LA CHARLÉZENN


I

Elle s’appelait de son vrai nom Marguerite Charlès. Mais les gens l’avaient baptisée « la Charlézenn ».

Ce fut dès l’enfance une singulière fille, aux libres allures. Toujours grimpée dans les arbres, entre le ciel et la terre, comme un jeune chat sauvage, elle envoyait de là-haut sa chanson aux passants qui cheminaient en bas, dans la route. De qui était-elle née ? On n’en savait rien. On disait dans le pays qu’elle n’avait eu « ni père, ni mère ». Elle n’avait rien à elle sous le soleil, pas même le nom sous lequel on l’avait inscrite au registre de paroisse. Si pourtant ! elle avait à elle sa beauté. Une beauté insolite, étrange, comme toute sa personne, comme toute son histoire ou plutôt sa légende. Ce n’est pas qu’elle fut précisément jolie. Elle avait le nez un peu fort, et aiguisé en bec d’aigle. De même, ses cheveux déplaisaient, à cause de leur couleur. On a en Basse-Bretagne un préjugé contre les rousses. Ils étaient cependant magnifiques, ses cheveux. Amples et fournis comme une toison, rutilants comme une crinière. On eut dit, autour de sa tête, un buisson ardent, une broussaille de feu. Ses yeux, en revanche, étaient d’un bleu tranquille, presque délavé. Leur nuance était douce —et triste. C’étaient des yeux timides, enfantins, faciles à effaroucher. Ses lèvres très fines, un peu serrées, mon-