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LA LÉGENDE DE MARGÉOT

mune il ignorait le premier mot. Adolescent, on voulait faire de lui un prêtre. Il prit des mains de sa mère l’argent destiné à payer les frais d’étude, se rendit à Tréguier où était le collège, y passa une nuit à boire avec des matelots du port, apprit d’eux un certain nombre de refrains obscènes, et rentra chez lui le lendemain en disant qu’il n’avait pus besoin de s’instruire davantage et qu’il en savait désormais assez.

— C’est bien, mon garçon ? grogna le père Margéot, tu tâteras donc de la charrue !

Il en tâta, en effet. C’est-à-dire qu’il détela le meilleur des chevaux de labour, l’enfourcha prestement et s’en alla au diable quérir fortune. C’était le temps des premières fusillades entre Blancs et Bleus. La dure discipline des troupes républicaines ne pouvait convenir à Margéot le fils. Il essayera de la chouannerie. Mais un freluquet de royaliste l’ayant un jour réprimandé pour avoir fait rôtir un poulet, dans l’église de Coatascorn, avec des copeaux empruntés à une statue en bois de saint Fiacre, Margéot souffla sur le petit royaliste qui s’évanouit, et, dégoûté du commerce des chouans, il se mit à guerroyer pour son propre compte, tout seul d’abord, puis à la tête d’une bande de pillards qui sollicitèrent l’honneur de « travailler » sous ses ordres.

La pacification de la Bretagne le rendit à la vie privée. Il vint s’établir en son manoir de Kercabin qu’il avait acheté au rabais, parce qu’il avait pu le payer en beaux écus sonnants. Il y installa près de lui ceux de ses routiers qui s’étaient distingués par leur audace et surtout par une complète absence de scrupules. Kercabin devint de la sorte une colonie de brigands. Sans doute, le temps était passé des grandes razzias où, dans une semaine, on pouvait rançonner tout un canton. Mais Margéot avait