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LA LÉGENDE DE MARGÉOT

nir le lecteur. M. Luzel, dans ses Veillées Bretonnes, en a donné un intéressant chapitre. C’est une restitution à peu près intégrale que je voudrais tenter.

… Il y a quelque deux ans, j’eus le plaisir d’être l’hôte des propriétaires actuels de Kercabin. L’un deux, esprit très cultivé, réalise pleinement le type, aujourd’hui malheureusement trop rare, du gentleman farmer bas-breton. Il dirige en personne l’exploitation de ses terres et engrange lui-même ses gerbes. Il mêne la vie rude et simple de son nombreux domestique. Il se rend aux champs avec les journaliers, guide et surveille leurs travaux, parle volontiers leur langue, et ne dédaigne pas de s’asseoir au milieu d’eux, devant l’âtre énorme de la cuisine, quand viennent les longues soirées d’hiver, mères des longues causeries.

— Ça, lui demandai-je un jour, est-il encore bruit dans la contrée du fameux « cheval de Margéot » ?

— Interrogez mes gens. Vous n’en trouverez pas un qui ne vous affirme l’avoir entendu.

C’est, en effet, de quoi je pus me convaincre. Les garçons, les servantes, le petit pâtre furent unanimes dans leurs réponses. Voilà : on est tranquillement à se chauffer au coin du feu, ou bien on vient de s’étendre au lit, quand tout à coup, dans la nuit sonore, au loin, retentit le galot effréné d’un cheval. Dip-a-drap ! Dip-a-drap ! Dip-a-drap ! Cela fait un train d’enfer. À mesure que le fracas se rapproche, on perçoit le sifflement des coups de cravache cinglant éperdument la bête. Le cavalier nocturne ne cesse d’exciter sa monture que lorsqu’il est arrivé à Kercabin. Dans la cour, il fait halte. On l’entend qui met pied à terre, tandis que le cheval halète avec force. Se trouve-t-il dans le personnel de la ferme quelque domestique gagé récemment ou qu’on a oublié de mettre