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de merveilles dont Luzel a recueilli avec une conscience si admirable les types les plus importants. Au dehors, cependant, la nuit se fait plus lourde et plus compacte, et son oppression mélancolique semble gagner peu à peu les âmes elles-mêmes, à l’intérieur de l’humble logis. Les propos s’espacent : il y a de grands intervalles de silence vaguement inquiet. Qu’à ce moment une bouffée de vent ébranle la vitre, que la flamme agonisante ait un brusque sursaut, que la corde d’un rouet vienne à se rompre, ou que la nappe qui enveloppe le pain sur la table frémisse à quelque souffle d’air, c’est assez pour communiquer à tous ces hommes, à toutes ces femmes, le sentiment délicieux et poignant à la fois de la confuse présence de l’Anaon. Et, comme à un signal attendu, les voilà partis sur le chapitre, l’inévitable, le passionnant chapitre de la mort et des morts. Plus n’est besoin désormais de stimuler les mémoires ni les langues. Les propos se croisent, les récits succèdent aux récits, et avec quelle ferveur pénétrante ! avec quelle religieuse gravité !

Parmi les gens assemblés là, il n’en est pas un, depuis l’aïeul quasi-centenaire jusqu’au plus petit pâtre, qui n’ait eu quelque mystérieuse révélation des êtres ou des choses d’outre-tombe. Et cela n’a rien d’étonnant, si l’on songe qu’ils en sont encore à cet état d’esprit où l’événement le plus simple de la vie courante veut être expliqué par des raisons