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gnard de l’assassin, avant d’avoir eu le temps de se mettre en défense.

« Ainsi la fière Bradamante, crème et fleur de chevalerie, fut traîtreusement occise par le perfide Mayençais.

« Donc le Grand-Duc est le dominateur absolu des airs pendant la nuit ; et comme il acclame sa venue par un cri d’allégresse, il insulte par une malédiction à la clarté naissante de l’Aurore qui clôt sa dictature.

« Il se hasarde néanmoins quelquefois à chasser durant le jour au printemps, par exemple, lorsque la faim de ses petits lui crie dans les entrailles.

« C’est le destructeur le plus acharné du Lièvre, de la Perdrix et de tout le menu gibier. Son morceau de prédilection, vers les rives de l’Ohio et du Mississippi, est la Dinde sauvage, qui pèse moyennement de 5 à 10 kilogrammes, et qu’il garrotte et transporte au loin malgré ce poids énorme. Les Dindes domestiques elles-mêmes, qui juchent dans l’intérieur des fermes, ne sont pas à l’abri des coups de main du larron. Un ménage de Grands-Ducs, un peu chargé de sa famille, est le meilleur auxiliaire qu’un propriétaire de lapins, embarrassé de ses richesses, puisse employer pour éclaircir la population de sa garenne. Si j’étais quelque chose dans le conseil municipal de la Seine, mon premier soin, après avoir aboli le rat de cave, serait de porter un coup terrible à celui de Montfaucon en naturalisant le Grand-Duc dans ces parages odieux. L’apprivoisement du Grand-Duc n’est pas chose difficile. Tous ces gros mangeurs, hommes ou bêtes, sont volontiers à qui veut leur bourrer la panse.

« Le Grand-Duc, si redoutable dans l’agression, ne l’est pas moins dans la défense. Les ongles rétractiles dont ses doigts sont armés font des blessures aussi terribles que la dent du renard et la griffe du chat sauvage. Ils se rejoignent à travers les chairs à l’aide d’une puissance incroyable de contraction musculaire, et percent les guêtres de cuir et les empeignes les plus résistantes du soulier du chasseur. Il est besoin de deux ou trois Faucons, et de Faucons de la plus grande espèce, pour lier cet oiseau dans les airs, et ce vol est une des scènes les plus curieuses du drame émouvant de la fauconnerie. L’oiseau chassé, au lieu de fuir en ligne droite, multiplie les ascensions et les culbutes, ne s’occupant qu’à regagner le dessus sur ses adversaires, et à leur grimper sur la croupe. Blessé d’un coup de feu dans la membrure et forcé de s’abattre, il imite le stratagème du blaireau assailli par de nombreux ennemis et décidé à vendre très-chèrement sa vie. Il se renverse sur le dos, attend les chiens, la serre ouverte et haute, exécute avec son bec