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LES HÉRONNIÈRES D’AMÉRIQUE.
WILSON.


« La décadence du héron est moins sensible en Amérique. Il est moins poursuivi. Les solitudes sont plus vastes. Il trouve encore, sur ses marais chéris, des forêts sombres et presque impénétrables. Dans ces ténèbres il est plus sociable ; dix ou quinze ménages s’y établissent ensemble, ou à peu de distance. L’obscurité parfaite des grands cèdres sur les eaux livides les rassure et les réjouit. Vers le haut de ces arbres, ils construisent avec des bâtons une large plate-forme qu’ils couvrent de petites branches ; voilà le domicile de la famille et l’abri des amours ; là, la ponte tranquille, l’éclosion, l’éducation du vol, les enseignements paternels qui formeront le pêcheur. Ils n’ont pas fort à craindre que l’homme vienne les inquiéter dans ces retraites ; elles se trouvent non loin de la mer, spécialement dans les Carolines, dans des terrains bas et fangeux, lieux chéris de la fièvre jaune. Tel marais, ancien bras de mer ou de rivière, vieille flaque oubliée derrière dans la retraite des eaux, s’étend parfois sur la largeur d’un mille, à cinq ou six milles de longueur. L’entrée n’est pas fort invitante ; vous voyez un front de troncs d’arbres, tous parfaitement droits et dépouillés de branches, de cinquante ou soixante pieds, stériles jusqu’au sommet, où ils mêlent et rapprochent leurs flèches végétales d’un sombre vert, de manière à garder sur l’eau un crépuscule sinistre. Quelle eau ! une fermentation de feuilles et de débris, où les vieilles souches montent pêle-mêle l’une sur l’autre, le tout d’un jaune sale, où nage à la surface une mousse verte et écumeuse. Avancez ; ce qui semble ferme est une mare où vous plongez. Un laurier à chaque pas intercepte le passage ; pour passer outre, il faut une lutte pénible avec ses branches, avec des débris d’arbres, des lauriers toujours renaissants. De rares lueurs percent l’obscurité ; ces régions affreuses ont le silence de la mort. Sauf la note mélancolique de deux ou trois petits oiseaux, que l’on entend parfois, ou le héron et son cri enroué, tout est muet, désert ; mais que le vent s’élève de la cime des arbres, le triste héron gémit, soupire. Si la tempête vient, ces grands cèdres nus, ces grands mâts, se balancent et se heurtent ; toute la forêt hurle, crie, gronde, imite à s’y tromper les loups, les ours, toutes les bêtes de proie.

« Aussi ce ne fut pas sans étonnement que, vers 1805, les hérons, si bien établis, virent rôder sous leurs cèdres, en pleine mare, un rare visage, un homme. Un seul était capable de les visiter là, patient, voyageur infatigable, et brave autant que pacifique : l’ami, l’admirateur des oiseaux, Alexandre Wilson.[1]

  1. Alexandre Wilson naquit à Paisley, en Écosse le 6