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« La plus coquette de toutes les Grues, celle qui raffole le plus de danse et de colifichets, est la Grue du pays des nègres, celle qu’on appelle la Grue Couronnée du Sénégal. Cet oiseau affiche une gaieté folâtre que la captivité altère à peine. Elle aime à se couvrir d’aigrettes et de pierreries (verroteries vaudrait peut-être mieux) ; elle en porte depuis le bout des pennes jusqu’au-dessous des yeux. Néanmoins son goût passionné pour les étoffes voyantes lui fait tort. Le velours et la pourpre, le blanc d’argent et le jaune d’or, se font si souvent opposition dans son costume que ce costume finit par ressembler à un habit d’harlequin et par manquer de distinction, sinon d’originalité. On reproche encore à la Grue Couronnée d’avoir le nez camard, de se trémousser trop vivement dans ses passes, et d’apporter dans la contredanse des poses risquées et orageuses sentant leur Bamboula. Bien entendu que ce n’est pas moi qui fais entendre ces plaintes, mais les faux moralistes qui voient du mal partout.

« La Demoiselle de Numidie a plus de monde, plus de retenue et de décence ; elle sait allier la souplesse chorégraphique et la grâce des poses à la dignité du maintien. C’est une grande dame du siècle de Louis XIV qui affectionne par-dessus tout le menuet, et méprise souverainement le galop et la valse qui chiffonnent les robes. Sa mise, très-recherchée sans en voir l’air, est un modèle de bon goût et de simplicité. Les Demoiselles aiment à contempler leur portrait dans le cristal des ondes et aussi dans les miroirs de Venise. J’approuve d’autant plus ce goût, qui ne fait de tort à personne, que les motifs de cette coquetterie apparente sont presque toujours très-louables. En liberté, les Demoiselles se mirent pour voir si chaque pièce de leur uniforme est bien exactement à sa place, et on saura tout à l’heure la raison de ce respect méticuleux de la tenue ; en esclavage, elles sont heureuses de retrouver dans leur image celle de compagnes chéries dont elles pleurent l’absence ; car l’amour de ses proches et une des vertus de la famille.

« Aristote raconte que les Demoiselles sont tellement passionnées pour la danse qu’elles en oublient quelquefois le sentiment de leur conservation personnelle, et qu’elles se laissent souvent surprendre par l’ennemi au milieu d’une figure. Elles aiment trop le bal… On croit que leur nom de Demoiselles leur vient de l’habitude qu’elles ont de se rengorger quand on les examine, à l’instar des jeunes filles de province. Des barbares ont exploité autrefois, à ce qu’on dit, la passion des pauvres bêtes pour la parure et pour les ablutions de toilette en leur tendant un piége indigne. Le procédé consistait à se laver d’abord le visage et les mains à une certaine distance de ces oiseaux qui vous regardent faire, puis à mettre dans la cuvette, au lieu d’eau, de la glu, et à s’éloigner doucement. Les curieuses, après votre départ, ne