Page:Lazare - Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, 1844.djvu/653

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terrain qui servait de garenne, et à l’extrémité de ce terrain, entre la porte et la volière se trouvait un chenil, que Louis XIII donna le 20 avril 1630 au valet de chambre Renard, à condition de défricher le terrain qui l’entourait, et d’y planter des fleurs précieuses par leur rareté. Renard, en homme adroit, tira parti de son privilège. Indépendamment des fleurs dont il orna son jardin, il réunit dans un joli pavillon qu’il fit bâtir, des meubles d’un excellent goût, et des tapisseries d’une grande richesse. Son caractère obligeant et spirituel lui attira plus tard la bienveillance du cardinal Mazarin, qui venait quelquefois lui faire des acquisitions et se reposer dans ce jardin, des fatigues du ministère. L’isolement du jardin Renard, ses divers agréments en firent un lieu de délices. Il devint le rendez vous des jeunes seigneurs et des plus jolies dames de la cour. Il y avait aussi au milieu de ce parterre, des bâtiments qui servaient à loger les artistes que le roi honorait de sa protection. Leur plus grande illustration fut d’avoir abrité Nicolas Poussin. On trouve dans une des lettres de ce peintre célèbre le passage suivant. Poussin annonce à un de ses protecteurs son arrivée à Paris, et ajoute « Je fus conduit le soir, par ordre du roi, dans l’appartement qui m’avoit été destiné ; c’est un petit palais, car il faut l’appeler ainsi. Il est situé au milieu du jardin des Tuileries. Il est composé de neuf pièces en trois étages, sans les appartements d’en bas, qui sont séparés. Ils consistent en une cuisine, la loge du portier, une écurie, une serre pour l’hiver et plusieurs autres petits endroits où l’on peut placer mille choses nécessaires. Il y a en outre un beau et grand jardin rempli d’arbres à fruits, avec une quantité de fleurs, d’herbes et de légumes ; trois petites fontaines, un puits, une belle cour dans laquelle il y a d’autres arbres fruitiers. J’ai des points de vue de tous côtés, et je crois que c’est un paradis pendant l’été … En entrant dans ce lieu, je trouvai le premier étage rangé et meublé noblement, avec toutes les provisions dont on a besoin, même jusqu’à du bois et un tonneau de bon vin vieux de deux ans ; j’ai été fort bien traité pendant trois jours, avec mes amis aux dépens du roi. » — Tel était encore le jardin des Tuileries à la mort du cardinal Mazarin. — Colbert, qui savait deviner toutes les grandes passions de Louis XIV, avait senti que ce jardin ne complétait pas assez dignement le séjour d’un grand roi. On abattit aussitôt le logement de mademoiselle de Guise, la volière et les bâtiments qui s’étendaient du côté de la rivière jusqu’à la barrière de la Conférence. Le jardin Renard fut compris dans le nouvel enclos, et sur cet emplacement Lenôtre exerça son génie créateur. — « C’est un chef-d’œuvre de bon goût, d’adresse et de génie, disent MM. Percier et Fontaine ; l’artiste, en disposant ce jardin, a su cacher avec beaucoup d’art, la limite des clôtures. » — Considérant ensuite la vaste étendue de la façade, Lenôtre sentit également qu’une ligne aussi longue de bâtiments avait besoin d’une esplanade qui lui fût proportionnée ; et qui en développât complètement toutes les parties. Il eut l’heureuse idée de ne commencer le couvert de ce jardin qu’à 226 m. de la façade. — Tout le sol de la partie découverte fut orné de parterres à compartiments entremêlés de massifs de gazon, dont les dessins nobles et élégants ont été conservés religieusement jusqu’à nos jours. Ces parterres ont été dessinés de manière qu’on a pu y placer trois bassins circulaires qui offrent une agréable variété. Ces trois bassins forment un triangle terminé par le plus grand d’entr’eux, qui se trouve ainsi au milieu de la grande avenue. En face des parterres, et dans l’alignement du grand avant-corps de bâtiments, est plantée une belle allée de marronniers de l’Inde, de 272 m. de longueur. Admirable du côté des Tuileries, ce bois offre peut-être un coup-d’œil plus ravissant encore en entrant par la place de la Concorde. Le jardin se complète heureusement par une partie découverte, entourée par le fer à cheval que forment les terrasses, et au milieu duquel est placé un vaste bassin d’où s’échappe une gerbe d’eau qui domine les arbres les plus élevés. À l’extrémité du fer à cheval qui termine le jardin, on voyait avant la révolution, un pont tournant d’un dessin ingénieux qui servait de communication à la place Louis XV. Ce pont avait été construit en 1716, par un religieux Augustin, nommé Nicolas Bourgeois. À ces perfections que l’empereur Napoléon appréciait hautement, d’autres ont été ajoutées par ses ordres. La terrasse des Feuillants, que les dépendances de l’ancien manège, des couvents des Feuillants, des Capucins et de l’Assomption bordaient dans presque toute sa longueur, a été entièrement dégagée par suite de l’ouverture de la rue de Rivoli. Cette terrasse des Feuillants, cet heureux complément du jardin des Tuileries, présente, de la grille qui est en face de la rue de Castiglione, une riche perspective. La place Vendôme, sa colonne de bronze, l’homme qui est dessus la belle rue de la Paix, et les boulevarts ; toutes ces richesses heureusement groupées font naître de grandes et profondes émotions. Mais du haut de la terrasse qui borde le côté oriental de la place de la Concorde, quel superbe coup-d’œil ! Cette large voie publique avec ses fontaines, ses candélabres étincelants de dorure ; puis ces deux palais jumeaux ; à gauche la Chambre des Députés ; devant soi, la belle avenue des Champs-Élysées ; puis l’Arc-de-Triomphe si rayonnant de gloire. Devant cet imposant panorama, on peut dire avec orgueil : l’art et la nature n’iront jamais plus loin !…

3e Partie. — Faits historiques.

Si l’on considère le palais des Tuileries dégagé de son brillant entourage, les évènements dont il fut le théâtre ont imprimé sur ses pierres une teinte lugubre qui attriste profondément l’écrivain qui n’a pour ainsi dire que des malheurs à rappeler. Ce fut au palais des Tuileries, quatre jours avant le