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Louvre. On assigna le Palais-Royal à Henriette Marie, reine d’Angleterre, qui l’occupa jusqu’en 1661.

À cette époque, Monsieur, frère de Louis XIV, vint habiter ce palais, mais ce ne jusqu’après le mariage de son fils, le duc de Chartres, avec Marie-Françoise de Bourbon, fille légitimée de Louis XIV, qu’il en devint propriétaire.

Février 1692. — Lettres-patentes du roy, portant don par sa majesté, à Monsieur, son frère unique, et à ses enfants mâles, du Palais-Royal, par augmentation d’apanage.

« L’affection singulière que nous avons pour notre cher et très aimé frère unique Philippe, fils de France, duc d’Orléans, de Chartres, de Valois et de Nemours, nous portant à lui en donner des marques continuelles, nous avons résolu de lui accorder et délaisser, sous le titre et nature d’apanage, la maison et hôtel du Palais-Cardinal et ses dépendances, situés en notre bonne ville de Paris, rue Saint-Honoré, donnés au feu roy notre très honoré seigneur et père par feu notre cousin le cardinal duc de Richelieu, afin que notre dit frère et sa postérité masculine puissent y avoir un logement qui réponde à la grandeur de leur naissance, etc… Signé Louis ; et sur le repli : par le roy, Phélypeaux, visa. — Signé Boucherat, et scellé du grand sceau de cire verte, en lacs de soie rouge et verte. »

« Registrées, ouï le procureur-général du roy, pour jouir par Monsieur, ses enfants mâles et descendants de lui en loyal mariage, de leur effet et contenu, et être exécutées selon leur forme et teneur, suivant l’arrêt de ce jour. — À Paris, en parlement, le treize mars mil six cent quatre vingt-treize. Signé du Tillet. »

Quelque temps après le mariage de Monsieur avec Henriette-Anne d’Angleterre, le Palais-Royal fut agrandi. Les augmentations peuvent être facilement reconnues, en comparant le plan de 1648 avec celui de 1679. Louis XIV avait acheté divers terrains sur la rue de Richelieu, ainsi que l’hôtel de Brion, et ce fut sur leur emplacement que Jules Hardouin Mansart éleva la galerie décorée par Coypel, et représentant, en quatorze tableaux, les principaux épisodes de l’Énéïde.

Le frère de Louis XIV étant mort en 1701, le duc de Chartres, son fils, prit le titre de duc d’Orléans. Le Palais-Royal changea bientôt de physionomie. Philippe, nommé régent le 2 septembre 1715, s’entoura d’hommes et de femmes qui flattaient son penchant à la débauche. Les ducs, les comtes, qu’il appelait ses roués, et dont plusieurs méritaient de figurer sur la roue ; les duchesses, les actrices, les danseuses, les dames d’honneur, etc., tous à l’envi participaient à ses débordements, et se faisaient gloire de remplir auprès du nouveau sultan un emploi diffamé, même dans les lieux de prostitution.

Le duc d’Orléans, doué dans sa jeunesse d’une figure agréable, d’un caractère doux et affable, d’une grande bravoure, promettait un prince distingué ; mais il fut bientôt corrompu par l’abbé Dubois, son sous-précepteur, qui parvint aux dignités d’archevêque de Cambrai, de cardinal du Saint-Siège, de premier ministre de France et de membre de l’Académie Française. L’élévation de cet homme odieux n’inspira pourtant que des plaisanteries. Le couplet suivant courut dans tout Paris :

« Je ne trouve pas étonnant
» Que l’on fasse un ministre,
» Et même un prélat important,
» D’un maq…, d’un cuistre ;
» Rien ne me surprend en cela :
» Ne sait-on pas bien comme
» De son cheval Caligula
» Fit un consul à Rome ? »

Peu de temps après que le pape eut nommé Dubois archevêque de Cambrai, en remplacement de Fénélon, une prostituée, nommée la Fillon, qui avait ses entrées libres au Palais-Royal, vint demander une grâce au régent : « Que veux-tu ; » lui dit le prince ? — « L’abbaye de Montmartre, » répondit-elle. À ces mots, Philippe et Dubois haussent les épaules. « Pourquoi ris-tu de ma demande, dit-elle à l’abbé, tu es bien archevêque, toi maq… » — Philippe convint qu’elle avait raison.

Dubois sacrifiait ouvertement les intérêts de sa patrie. Pour cette trahison il recevait de l’Angleterre près d’un million chaque année. Le régent en avait connaissance et se contentait d’appeler son ministre coquin et scélérat.

Le cardinal présidait aux débauches de son maître. En 1722, on célébra au palais des orgies nommées Fêtes d’Adam. Le duc de Richelieu qui y assistait, en parle ainsi :

« Là, se trouvoient des femmes publiques, conduites de nuit les yeux bandés, pour qu’elles ignorassent le nom du lieu où elles étoient. Le régent, ses femmes et ses roués qui ne vouloient pas être connus, se couvroient de masques ; et je dois dire à ce sujet qu’on dit un jour en face de ce prince, qu’il n’y avoit que le régent et le cardinal Dubois capables d’imaginer de pareils divertissements. »

« D’autres fois, on choisissoit les plus beaux jeunes gens de l’un et de l’autre sexes qui dansoient à l’Opéra, pour répéter des ballets que le ton aisé de la société, pendant la régence, avoit rendus si lascifs, et que ces gens exécutoient dans cet état primitif, où étoient les hommes avant qu’ils connussent les voiles et les vêtements. Ces orgies, que le régent, Dubois et ses roués appeloient fêtes d’Adam, ne furent répétées qu’une douzaine de fois, car le prince parut s’en dégoûter. »

De nouveaux scandales succédèrent bientôt ; l’invention des nouvelles scènes appartenait à la dame