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un compagnon, un marchand de Paris ; à ce compagnon imposé par le prévôt, le marchand du dehors devait déclarer le prix réel de la cargaison, et partager le bénéfice avec lui. Si les marchandises ne convenaient pas au compagnon, il donnait son désistement en bonne forme, et le marchand étranger débitait en toute sécurité sa marchandise. Malheur à celui qui cherchait à enfreindre les privilèges de la Hanse ; sa cargaison était saisie, puis confisquée au profit du roi et de la marchandise de l’eau. » — Un de ces arrêts de confiscation mérite d’être rapporté. « En l’an de l’Incarnation nostre Seigneur milce IXViij, la vigile de Pâque flories, orent li marcheant Hansé de l’Iaue de Paris, sentence contre Jehan Marcel de Compiègne, d’une navée de bûche qui vingt d’Oyse en Seyne contre le pont de Paris et de Maante, sans compaignon hansé, bourjois de Paris devant lou Roy de France, pardroit jugement de l’usage et de la Chartre aux diz marchants. » — Cette obligation, imposée aux marchands du dehors, d’associer ceux de Paris aux profits des expéditions des marchandises par eau, était un précieux avantage pour les Parisiens. Elle leur permettait de retenir les marchandises qui se trouvaient à leur convenance et qui leur produisaient des bénéfices sans nécessiter aucune avance de fonds. La Hanse-Parisienne chercha à compléter son système de monopole ; elle voulut y soumettre également la navigation de la Haute-Seine. Le commerce des vins de Bourgogne était d’autant plus important pour elle que cette province était, pour ainsi dire, la seule qui exportât alors au loin le produit de ses vignobles. La Hanse-Parisienne décida que le marchand qui amènerait du vin à Paris ne pourrait le débarquer s’il n’était bourgeois hansé de Paris. Il pouvait vendre sa cargaison à qui bon lui semblait, mais il fallait qu’il la débitât sur son bateau ; aux acquéreurs bourgeois de Paris appartenait seul le droit de la débarquer en grève. Il était permis à un étranger d’acheter du vin dans le port, mais son achat terminé, il fallait que son vin passât du bateau dans une voiture qui le conduisait hors de la banlieue de Paris. Maîtresse de la grande navigation de la Seine, forçant la Bourgogne et la Normandie à devenir ses tributaires, la Hanse-Parisienne dominait toutes les autres villes baignées par la Seine et nivelait toutes les prétentions des seigneurs ayant donjon sur le fleuve. Défense aux Normands d’envoyer directement le sel et la marée dans la Haute-Seine ; défense aux Bourguignons d’expédier sans intermédiaire leurs vins et leurs bois dans la Basse-Seine et à la mer ; quand les clameurs s’élevaient contre cet utile envahissement, lorsque les réclamants, au nom de l’intérêt général, demandaient l’abolition de ces privilèges, les Parisiens, à leur tour, alléguaient la position toute particulière de Paris ; ils disaient : « La capitale du royaume a besoin d’approvisionnements considérables, si vous rendez la liberté au commerce sur la Seine, les meilleures denrées passeront par Paris sans s’y arrêter ; elles seront transportées jusque chez les ennemis de la France. » La royauté donnait gain de cause à la Hanse-Parisienne qui se fortifiait, se développait, et les bourgeois enrichis par ces privilèges payaient largement la taille et les autres impôts. Le monopole de la Hanse était maintenu avec une sévérité excessive ; tout individu qui débarquait des marchandises dans le ressort de la Hanse, sans compagnon hansé, était pris, jugé, condamné. La protection d’un noble, d’un prince même était impuissante pour faire obtenir au coupable la remise de sa peine. Par le fait d’un monopole aussi complet, une contrebande active dut s’organiser. Des contrebandiers trouvaient parfois, dans le corps des marchands de l’eau, des hommes assez complaisants pour être les compagnons légaux des spéculateurs étrangers. La fraude découverte, le prévôt de Paris mettait les coupables « hors de la marchandise de l’iaue de Paris à touz jors por ce qu’ils avoient faict fausse avoerie. » Ils tombaient alors dans la classe des manants et ne pouvaient plus participer aux honneurs et avantages attachés à la marchandise. Ces privilèges de la Hanse-Parisienne peuvent paraître aujourd’hui des abus monstrueux ; mais, si l’on considère attentivement ta situation politique de la France, harcelée sans cesse par les rois d’Angleterre, par les ducs de Bourgogne et de Bretagne, entourée de voisins, de rivaux puissants toujours prêts à la démembrer, on conçoit alors toute l’utilité d’un centre d’approvisionnement, de résistance même ; on comprend que la capitale, qui fournissait plus largement qu’aucune autre ville de France de l’or et des défenseurs à la royauté, dut chercher à maintenir, à étendre même des privilèges, qui, dans des moments de crise, devenaient les gages de la sécurité du pays tout entier. Pour être reçu bourgeois hansé de Paris, il fallait prêter serment devant les magistrats chargés des affaires de la ville. Le récipiendaire s’avançait à la barre et disait : « Je jure de me soumettre à tous les règlements de police et de bonne discipline de la Hanse. Je jure d’exercer loyalement et avec droiture le fait de la marchandise, d’instruire les magistrats de toutes les fraudes qui pourraient porter préjudice à la Hanse et aux autres privilèges de la ville. En cas de contestation, je jure de me soumettre et sans appel aux décisions prises par les chefs de la Hanse. » Le commerce fluvial ayant été d’abord la branche la plus importante de tout commerce parisien, par une conséquence toute naturelle, le corps de la marchandise de l’eau absorba petit-à-petit tout ce qui avait rapport à l’administration de la ville, et l’on considéra les chefs de cette marchandise de l’eau comme les prévôts de tout commerce parisien. Ce fut en 1268, pour la première fois, que le directeur de la Hanse-Parisienne, Jehan Augier, fut officiellement nommé prévôt des marchands. Les nombreux privilèges dont jouissait le corps des marchands de l’eau passèrent, avec le temps, au prévôt des marchands, qui acquit successivement