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la grande artère qui répandit la richesse et la fertilité dans la ville. Les marchands de la cité abandonnaient leurs maisons tristes et malsaines pour venir loger près du premier bazar parisien. Les drapiers, les fourreurs, les merciers, les bonnetiers et les orfèvres se bâtirent de vastes habitations derrière les hôtels et les palais des nobles dont ils entretenaient le luxe.

Aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, la rue Saint-Honoré semblait fière de ses hautes maisons à pignons historiés, aux façades couvertes de gracieuses figurines qui souriaient aux passants ; elle comptait avec satisfaction ses riches et gros marchands posés sous leurs porches comme les obélisques chez les Égyptiens.

Au coin de la rue des Déchargeurs, les bonnetiers étalaient leurs marchandises. Sur la frise de leurs lambris, on voyait des bonnets de différentes formes et sur les verrières étaient peints des ciseaux ouverts avec quatre chardons au-dessus.

Un peu plus loin étaient réunis les marchands drapiers orgueilleux de leurs richesses. Au-dessus de leurs magasins se balançait un navire d’argent, à la bannière de France, en champ d’azur, un œil en chef, avec cette légende : Ut cœteros dirigat. — En face de la Croix-du-Trahoir se prélassaient les riches merciers-grossiers. Ils comptaient parmi les membres de leur communauté plusieurs échevins. Le chef des merciers avait fait peindre sur son enseigne les armoiries de sa corporation. On voyait un champ d’argent chargé de trois vaisseaux dont deux en chef et un en pointe ; ces vaisseaux étaient construits et mâtés d’or sur une mer de sinople, le tout surmonté d’un soleil d’or avec cette devise : Te toto orbe sequemur.

Après la rue du Coq scintillaient plusieurs boutiques d’orfèvres, devant lesquelles s’arrêtaient extasiés de nouveaux débarqués. On voyait aussi de joyeux étudiants qui regardaient plus volontiers les jeunes femmes que les bijoux. Les armoiries de la corporation qui reconnaissait Saint-Éloi pour patron étaient composées de gueules à croix d’or dentelée, accompagnées aux premier et quatrième quartiers d’une coupe d’or, et aux deuxième et troisième d’une couronne de même métal semé de fleurs de lis sans nombre, avec cette légende : IN SACRA INQUE CORONAS, pour faire entendre que l’orfèvrerie était principalement consacrée à la pompe du culte divin et à l’ornement de la majesté royale. Cette armoirie donnée par Étienne Boileau était une glorieuse récompense de la probité des orfèvres à garder tes meubles et les joyaux de la couronne que Philippe de Valois leur confiait.

Un peu plus loin sur le même côté de la rue, on distinguait les pelletiers-fourreurs, aux têtes d’animaux qui tapissaient les devantures des boutiques. Les pelletiers jalousaient les merciers et les drapiers qui leur avaient enlevé leur antique prééminence. Ils se rappelaient l’honneur dont ils jouissaient lorsqu’ils avaient le privilège de faire la robe du roi. Leurs armoiries étaient un agneau pascal d’argent, avec champ d’azur, à la bannière de France ornée d’une croix d’or ; pour supports leurs hermines, et sur leur écu la couronne ducale.

La rue Saint-Honoré dans ses sinueuses profondeurs a vu souvent se dérouler des drames sanglants. Ce fut au coin de cette rue et de celle du Louvre (aujourd’hui de l’Oratoire), que Paul Stuart de Caussade, comte de Saint-Mégrin, sortant du Louvre vers onze heures du soir, fut attaqué le lundi 21 juillet 1578 par une bande d’assassins ; il tomba percé de trente-trois coups dont il mourut le lendemain. Henri III le fit enterrer à côté de Quélus et de Maugiron dans l’église Saint-Paul, qui reçut alors le nom de Sérail des Mignons. « De ce meurtre, dit l’Étoile, n’en fut faite aucune poursuite, sa majesté étant bien avertie que le duc de Guise l’avait fait faire, parce que le bruit courait que ce mignon était l’amant chéri de sa femme, et que celui qui avait fait le coup avait la barbe et la contenance du duc de Mayenne. Saint-Mégrin détestait la maison de Guise ; un jour dans la chambre du roi, devant plusieurs seigneurs, il tira son épée, et bravant de paroles, il en trancha son gant par le mitan, disant qu’ainsi il taillerait les petits princes lorrains. » Une pareille imprudence était seule capable de le perdre.

À l’époque de la régence du duc d’Orléans, la rue Saint-Honoré prenait une physionomie plus agitée. La banque de Law avait abandonné la rue Quincampoix pour venir occuper un hôtel de la place Vendôme. Alors tout le numéraire était sorti de France ; les finances de l’État avaient disparu. Presque toutes les familles, autrefois dans l’aisance se virent tout-à-coup plongées dans la misère. Une émeute éclata dans la rue Saint-Honoré le 15 juillet 1720. Law effrayé se réfugia au Palais-Royal où résidait le régent. Le peuple remplissait les cours et demandait à grands cris la mort de l’imposteur qui avait causé sa ruine. Plusieurs personnes périrent étouffées par la foule et trois cadavres furent retirés des cours du Palais-Royal. Des ouvriers voyant passer le carrosse du banquier, croyant que ce financier s’y trouvait, assaillirent la voiture et la mirent en pièces. Le premier président du parlement pour annoncer cette nouvelle à la cour employa cet impromptu :

Messieurs, messieurs, bonne nouvelle,
Le carrosse de Law est réduit en canelle.

Mais comme le caractère des Français est de rire de leur propre malheur, les Parisiens ruinés se consolèrent bientôt en composant des chansons. Nous citons un couplet sur la conversion du célèbre banquier. Pour réussir à la cour, Law n’avait rien trouvé de mieux que d’abjurer sa religion.

Ce parpaillot, pour attirer
Tout l’argent de la France,
Songea d’abord à s’assurer
De notre confiance.
Il fit son abjuration,
La faridondaine, la faridondon ;
Mais le fourbe s’est converti
À la façon de barbari, mon ami.