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nous accrus et augmentez de grâce et privilèges, afin qu’un chacun par dévotion se puisse adjoindre et mettre en leur compagnie, à iceux maistres, gouverneurs et confrères d’icelle confrairie de la Passion de notre dit Seigneur, avons donné et octroyé de grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale cette fois pour toutes et à toujours perpétuellement pour la teneur de ces présentes lettres, autorité, congié et licence, de faire jouer quelque mystère que ce soit, soit de la Passion et Résurrection, ou autre quelconque, tant de saints comme de saintes qu’ils voudront élire, et mettre sur toutes et quantes fois qu’il leur plaira, soit devant nous, nostre commun ou ailleurs, tant en recors qu’autrement ainsi par la manière que dit est, puissent aller et venir, passer et repasser paisiblement, vestus, habillez et ordonnez un chacun d’eux, en tel estat ainsi que le cas le désirera, et comme il appartiendra selon l’ordonnance du dit mystère, sans détourner ou empêcher et en pleine confirmation et seureté, nous iceux confrères, gouverneurs et maistres, de notre plus abondante grâce, avons mis en notre protection et sauvegarde durant le recors de iceux jeux et tant qu’ils joüeront seulement, sans pour ce leur méfaire ou à aucuns d’eux à cette occasion ne autrement, etc… Ce fut fait et donné à Paris, en nostre hostel lès Saint-Pol, au mois de décembre l’an de grâce 1402, de nostre règne, le 23e. Signé Charles. » Les confrères de la Passion, dirigés par des maîtres ou gouverneurs, donnèrent à la Trinité un grand nombre de mystères dont les plus celèbres sont le mystère du viel Testament, celui de la vengeance de la mort de Notre-Seigneur, la destruction de Jérusalem, la conception, nativité et mariage de la glorieuse Vierge-Marie. Les confrères de la Passion n’étaient pas des comédiens proprement dits. Voici de quelle manière on recrutait les acteurs : la représentation des mystères exigeait un grand nombre de personnages, on faisait alors un cry et proclamation. La trompette ordinaire de la ville et le juré-crieur marchaient en tête, puis venaient les six trompettes aux armes du roi, les sergents et archers du prévôt de Paris, vêtus de leurs hoquetons paillez d’agent et armoriez, ensuite on voyait les officiers de ville à robes de couleur avec le navire d’argent brodé sur leurs habits ; puis montés sur deux beaux chevaux s’avançaient les deux hommes chargés de faire le cry et proclamation ; ils avaient une robe de velours noir avec des manches tricolores (jaune, gris et bleu). Les deux directeurs du mystère, vestus honnestement et bien montez selon leur estat, paraissaient ensuite. La marche était fermée par les quatre entrepreneurs à pourpoint de velours, les quatre commissaires du châtelet et un grand nombre de bourgeois. À chaque carrefour le cortège faisait une station, les trompettes sonnaient trois fanfares. Au nom du roi et du prévôt, le prieur réclamait le silence et faisait au peuple l’annonce du spectacle ; ensuite il invitait ceux qui voulaient jouer dans la pièce à se rendre à la Trinité ou ailleurs, pour être choisis par les directeurs qui devaient distribuer les rôles. Quelques bons bourgeois de Paris, des nobles, des magistrats, des ecclésiastiques composaient la confrérie de la Passion. Non seulement l’église protégeait leurs représentations, mais pour faciliter au peuple les moyens d’y assister, elle avançait tout exprès les heures du service divin. Ces mystères étaient divisés en plusieurs journées interrompues elles-mêmes par des épisodes d’une bouffonnerie souvent obscène. Jésus-Christ y prononçait quelquefois des sermons, moitié en français, moitié en latin ; s’il donnait la communion aux apôtres, c’était avec des hosties. Dans une de ces représentations, sainte Anne et la Vierge-Marie accouchaient dans une alcôve pratiquée sur le théâtre ; on prenait seulement la précaution de tirer les rideaux du lit. Dans une autre pièce, Judas tuait sans façon le fils du roi de Scarioth à la suite d’une querelle survenue en jouant aux échecs. Le même Judas assommait ensuite son père et devenait le mari de sa mère ; cette heureuse conclusion amenait une reconnaissance et une cinquantaine de vers boursouflés. Dans la même pièce, le gouvernement de Judée vendait les évêchés à l’enchère ; Satan priait Lucifer de lui rendre le service de lui donner sa bénédiction. Les bourreaux, les diables, les archers, les voleurs étaient les personnages qui avaient le privilège d’égayer le public. La décoration du théâtre restait toujours la même depuis le commencement jusqu’à la fin du mystère. Tous les acteurs paraissaient en même temps et ne sortaient plus de la scène qu’ils n’eussent achevé leur rôle. L’avant-scène était disposée d’une manière semblable à celle de nos théâtres modernes, mais le fond en était bien différent ; il était occupé par des estrades nommées établis, dont l’usage était indiqué par de grands écriteaux ; le plus élevé était le paradis. Le Père-Éternel, entouré des saints et des anges, s’y tenait assis ; l’établi qui se trouvait au-dessous était l’endroit le plus éloigné du lieu où la scène se passait ; le troisième en descendant représentait la maison de Pilate, etc… suivant le pièce que l’on jouait. Sur les parties latérales étaient élevés des gradins sur lesquels s’asseyaient les acteurs lorsqu’ils avaient terminé leur scène, ou qu’ils attendaient leur tour de parler. Un énorme dragon représentait l’enfer ; le monstre ouvrait et fermait ses mâchoires pour laisser entrer et sortir les diables. Que l’on ajoute à cette description une espèce de niche avec des rideaux formant une chambre où se passaient les choses qui ne devaient pas être vues du public, telles que l’accouchement de sainte Anne et de la Vierge-Marie, et l’on se fera une idée assez complète de l’appareil théâtral des confrères de la Passion. En 1542, ils jouèrent à l’hôtel de Flandre le mystère de l’Ancien-Testament. Le parlement crut devoir en interrompre les représentations. Les confrères s’adressèrent alors au roi qui leur donna des lettres-patentes portant autorisation de jouer ce mystère. Le parlement les enregistra, en imposant néanmoins l’obligation de ne mêler à cette représentation aucune chose profane, lascive ou ridicule ;