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muniquent à toute la France la contagion de leurs exemples pernicieux. Ils corrompent les habitants, les dévorent et les entraînent dans l’abime ! tuez-les !… » Puis en parlant des nobles : « Avez-vous une maison ? les nobles vous la prennent ! Avez-vous une fille ? malheur si elle est belle ; un noble la souillera. Ce champ cultivé par vous, que vos sueurs vont féconder, qui viendra recueillir ses produits ? un noble, toujours un noble ! Et pourtant combien faut-il au bûcheron de coups de cognée pour abattre le chêne le plus fort ! dix au moins ! Enfants, il n’en faut qu’un pour trancher la tête d’un seigneur. » Ces recommandations furent malheureusement suivies. Nobles et manants se firent une guerre acharnée, des flots de sang furent répandus. Ces excès réveillèrent enfin la régente qui s’empara des chefs de la croisade, et les fit exécuter. Blanche en même temps donna des ordres pour laisser passer ceux qui voulaient quitter le royaume.

Après la mort de leurs chefs, les bergers et les paysans se dispersèrent, et bientôt s’écoula ce torrent qui menaçait de tout envahir.

Cent soixante-huit ans après la révolte des Pastoureaux, Paris assistait à un drame lugubre. Les Anglais et les Bourguignons étaient maîtres de la capitale. Les agents du duc de Bourgogne, dans le but de diriger plus facilement les Parisiens, voulurent les réunir sous une même bannière. Dans l’église Saint-Eustache fut instituée une confrérie de Saint-André ; chaque associé devait orner sa tête d’une couronne de roses ; on en fabriqua soixante douzaines dans l’espace d’une heure ; ce nombre était trop petit pour satisfaire le zèle des associés ; néanmoins ces fleurs furent assez abondantes pour parfumer l’église. La tête couverte de ces roses printanières, les bouchers de Paris, qui formaient le noyau de cette confrérie redoutable, coururent égorger les prisonniers Armagnacs.

Mais quittons cette funeste époque, pour nous occuper un moment de l’architecture de cet édifice. À différentes époques, cette église avait été agrandie et réparée. Au commencement du XVIe siècle, elle ne pouvait contenir le nombre toujours croissant de ses paroissiens. On résolut alors de la reconstruire sur un plan beaucoup plus vaste. La première pierre de l’église que nous voyons aujourd’hui fut posée le 19 août 1532 par Jean de la Barre, comte d’Étampes, prévôt de Paris. On ne conserva de l’ancien monument qu’une partie du pilastre de la tour qui était surmontée d’une pyramide. Ce débris existe encore sur le côté du portail méridional de la croisée. Grâce à la libéralité du surintendant Bullion et du chancelier Séguier, l’édifice était achevé vers 1642, à l’exception du portail actuel dont nous parlerons bientôt.

Après la cathédrale, Saint-Eustache est l’église la plus vaste de Paris ; mais placée au centre d’un quartier populeux, elle perd de sa grandeur et de sa beauté. Cependant on admire les grandes roses des deux portails de la croisée, les tourelles de l’escalier et les ornements pleins d’élégance qui décorent le portail méridional.

Le portail actuel commencé en 1752, sur les dessins de Mansart de Jouy, fut repris en 1772 et continué jusqu’en 1788 par Moreau. La tour du nord est complètement achevée, mais celle du midi est encore à construire.

Un auteur moderne a jugé de la manière suivante le portail de Saint-Eustache : « Cette composition n’a pour tout mérite que d’être exécutée sur une grande échelle ; la largeur beaucoup trop grande de ses entre-colonnements, surtout au second ordre, entraînera sa destruction ; et déjà le poids énorme de la plate-bande qui supporte le fronton la fait se rompre, et semble écraser les maigres colonnes qui la soutiennent. Le genre de cette architecture massive, qui n’est ni antique ni moderne, n’a aucune espèce de rapport avec le reste de l’édifice, etc… »

Mais lorsqu’on entre dans l’église Saint-Eustache, la critique se tait et l’émotion vous gagne en présence de cette large nef, de ces nombreux piliers qui supportent une voûte pleine de hardiesse et de grandeur ; puis, si la pensée descend aux détails, on admire ces sculptures élégantes et capricieuses qui grimpent, se poursuivent, se perdent en jouant sur les piliers.

Le chœur surtout est merveilleusement orné. Un pendentif splendide, supporté par des anges, décore le sanctuaire. Les vitraux des fenêtres représentent les douze apôtres. La chaire a été construite sur les dessins de Lebrun, et l’œuvre a été exécutée par Le Pautre, d’après Cartaud. Le maître-autel est orné d’un corps d’architecture supporté par quatre colonnes de marbre d’ordre corinthien. Les dix statues groupées autour de l’autel sont de Jacques Sarrazin. Cet artiste a représenté saint Louis sous les traits de Louis XIII, la Vierge sous la figure d’Anne d’Autriche, et le petit Jésus, qu’elle porte dans ses bras, rappelle le jeune Louis XIV ; plus haut, on aperçoit les statues de saint Eustache et de sainte Agnès ; enfin, sur le dernier plan, ont été placés deux anges en adoration.

La chapelle de la Vierge, reconstruite au commencement de notre siècle, a été consacrée par le pape Pie VII, le 28 décembre 1804. Elle est décorée de plusieurs tableaux représentant le martyre de sainte Agnès ; le baptême de Jésus-Christ, par Stella ; Moïse dans le désert, par Lagrenée ; la guérison des lépreux, par Vanloo ; enfin, une statue en marbre de la Vierge, par Pigalle, complète les ornements de cette chapelle.

En 1834, on a placé à l’entrée du portail au nord de l’église, un bénitier qui représente le pape Alexandre II, distribuant l’eau bénite. Deux anges soutiennent le pontife, qui foule aux pieds le démon exorcisé. Ce morceau de sculpture est dû au ciseau de M. Eugène Bion.

Saint-Eustache est sans contredit la plus riche église de Paris, en œuvres des grands-maîtres. Mais nous