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de parcourir le monde comme un voyageur solitaire : un jour, il rentra de ses courses vagabondes, tenant à la main son épieu brisé ; muet et sombre, il ordonna alors d’un geste à ses héros d’abattre le frêne du monde et d’en former un vaste bûcher autour de la demeure des éternels ; puis il convoqua le conseil des dieux, et depuis, il trône, immobile et farouche, parmi eux et les héros, considérant avec douleur son arme vaincue ; c’est en vain que ses filles, les vierges guerrières, l’implorent et veulent le réconforter ; il reste sourd à leurs prières, attendant ses deux corbeaux qu’il a envoyés au loin et qui, hélas ! ne viennent lui rapporter aucune nouvelle rassurante !

Une seule fois, ému des caresses de sa fille Waltraute, son regard s’est voilé au souvenir de Brünnhilde, et il a laissé tomber ces paroles : « Si elle rendait aux filles du Rhin l’anneau maudit, les dieux et le monde seraient sauvés. » Alors, Waltraute a quitté furtivement la demeure endeuillée, pour venir supplier sa sœur d’accomplir l’acte rédempteur.

Brünnhilde, à ces mots, se révolte : sacrifier l’anneau de Siegfried, le gage sacré de leur amour, plus précieux pour elle que la race des dieux, que la gloire des éternels ? À cela jamais elle ne consentira, dussent les splendeurs du Walhalla s’écrouler à l’instant ; et elle laisse s’éloigner sa sœur désolée, emportant sa décision immuable.

Waltraute, au comble du désespoir, s’enfuit vers le palais de son père, accompagnée par une nuée d’orage sillonnée d’éclairs ; la nuit est venue, et la flamme qui entoure le rocher brille d’un éclat inusité.

On entend le cor de Siegfried qui retentit dans le lointain. Brünnhilde, ravie, s’élance au-devant de lui, puis recule épouvantée à l’aspect dun guerrier inconnu : c’est son époux qui, toujours sous l’influence du philtre maudit