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plus de peine à faire saisir, et, parmi ses admirateurs les plus fervents et les plus passionnés, il en est un bon nombre qui ne le comprennent pas encore.

Ce n’est pas dans un ouvrage d’aussi modeste envergure que celui-ci qu’on peut entreprendre de discuter à fond cette question fort souvent controversée : qui fut le plus grand chez Wagner, du poète ou du musicien, du compositeur ou du dramaturge ?

On ne peut pourtant pas la négliger complètement, sous peine de laisser trop de choses dans l’obscurité. Pour établir une sorte de terrain neutre entre ceux qui veulent voir en Wagner surtout le poète dramatique, et ceux, plus nombreux, qui admirent de préférence en lui le musicien, déplaçons la question en y introduisant un troisième terme, et disons : Wagner était avant tout un profond philosophe, dont la pensée revêtait tour à tour, avec une égale facilité, la forme poétique et la forme musicale ; et c’est ainsi qu’il faut le concevoir pour le bien comprendre sous ses deux aspects.

Les philosophes de l’antiquité étaient souvent, à la fois, mathématiciens, astronomes, poètes, musiciens, et au besoin législateurs. Ils possédaient donc des aptitudes bien tranchées, qui n’étaient pourtant que des manifestations variées de leur haute intelligence, de leur génie. Or, le génie de Wagner, absolument tendu, dès sa prime jeunesse, vers un but unique, l’extension et l’exaltation de la puissance dramatique, se trouvait en présence de deux modes d’expression, la musique et la poésie, aussi énergiques et aussi incomplets l’un que l’autre, et il pressentait qu’en les fondant en un art unique il les porterait à leur extrême puissance.

Tout l’effort de sa vie, sa direction inébranlable à travers les luttes, sa fixité d’idées, l’unité de ses œuvres,