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trop haute, un sens politique trop développé pour croire une telle œuvre possible, en supposant même que ses opinions intimes n’y répugnassent point ; mais il n’est pas moins évi ? dent qu’il voulait arrêter la marche de la Révolution et rendre à la monarchie le plus de prérogatives possible. Outre l’obligation honteuse de gagner ses subsides, outre ses ambitions de toute nature, ses vices, ses goûts fastueux, ses manies de grandeur aristocratique, qui combattaient en lui avec ses idées de réformes, il était frappé dès lors de la maladie des tribuns qui se sentent dépassés par les autres hommes et par les événements ; il commençait à donner le nom de factieux a ceux qui ne s’arrêtaient pas en même temps que lui et qui travaillaient à de nouvelles réformes et à de nouveaux progrès.

Il eut cependantencore de beaux triomphes et des lutles pleines d’éclat. Sa situation était des plus difficiles, car, à l’Assemblée, il était soupçonné par quelques-uns do ceux qu’il avait si souvent entraînés. Pendant les discussions sur le droit de paix et de guerre, où il avait eu Barnave pour principal adversaire, il avait soulevé d’ardentes colères, et c’est alors qu’on criait par les rues le pamphlet dont nous avons parlé, la Grande trahison de Mirabeau. À l’une des séances, comme la majorité paraissait contraire à, l’opinion qu’il soutenait et qui lui attirait de nombreuses accusations, il dit à un ami, avant de monter à la tribune : « On ne m’emportera d’ici que triomphant ou en lambeaux ! » Dès le début de son discours, faisant allusion au pamphlet en question, il s’écrie : « Je n’avais pas besoin de cette leçon pour savoir qu’il est peu de distance du Gapitole à la roche Tarpéienne. » Puis il parla de nouveau avec une telle éloquence, qu’il ramena une grande partie de 1 Assemblée et que son projet de décret fut adopté. Il est vrai qu’au cours de la discussion il avait modifié son plan, jugeant bien qu’il serait repoussé, se contentant d’assurer au roi le droit d’initiative, tandis qu’auparavant il voulait l’investir du droit de paix et de guerre.

Il avait aussi soutenu des luttes mémorables contre l’abbé Maurv et le côté droit à propos de l’aliénation des biens du clergé. Mais, dans les derniers temps de sa vie, il dissimula de moins en moins ses tentatives pour introduire des éléments monarchiques dans la constitution. En février 1791, il fut porté à la présidence avec l’appui du côté droit. Dans ce poste, il eut l’occasion de prononcer plusieurs discours remarquables en réponse a, des adresses et députations.

L’opposition vigoureuse qu’il fit à la loi contre les émigrés (28 février) donna une nouvelle consistance aux soupçons dont il était enveloppé. C’est dans le cours do cette discussion qu’interrompu par des murmures il lança cette apostrophe fameuse : Silence aux trente voix ! Il désignait ainsi une partie de la gauche, Barnave, Laineth et leurs amis.

Cette discussion fut la dernière où son talent se développa d’une manière vraiment dramatique. Les travaux, les excès de toute nature avaient épuisé sa robuste constitution. On a parlé aussi de tentatives d’empoisonnement, mais il n’y a rien là d’avéré. Ce qui est certain, c’est qu’il se tuait lui-même par la plus furieuse dépense de vie. Dès le lendemain de ses arrangements avec la cour, il s’était précipité dans le luxe et les plaisirs, sans aucune transition. Son ami Dutnont disait à ce sujet à Clavière : « Mirabeau est bien mal conseillé en étalant ainsi son opulence suspecte. On dirait qu’il a peur de passer pour honnête homme. • Lui-même se sentait dépérir ; son médecin Cabanis le conjurait de se modérer ; mais il ne s’arrêtait point, il semblait plutôt se hâter comme pour aller au-devant de la mort. Jusqu’au dernier jour, pour ainsi dire, tous ses instants furent consumés et par des débauches de table et de femmes, et par ses travaux avec ses secrétaires et collaborateurs, et par ses luttes il l’Assemblée. Le dimanche 27 mars, à sa campagne d’Argenteuil, il fut saisi de coliques néphrétiques dont il avait déjà, dans sa vie, éprouvé plusieurs accès. Le lendemain, il n’en parla pas moins sur la question des mines, affaire importante pour M. de La Marck, qui y avait sa fortune engagée ; il gagna la cause de l’amitié, mais sortit brisé, avec la mort sur le visage. Le mardi 29, le bruit se répandit qu’il était atteint mortellement ; cette nouvelle causa dans Paris un frémissement universel. On a bien souventrapporté les détails de cette agonie et de cette mort, de cette douleur de tout un peuple ; et nous ne jugeons pas nécessaire de grossir cet article, déjà fort long, de détails si universellement connus. Malgré ses souffrances, Mirabeau conserva jusqu’à la fin une sérénité majestueuse. Un coup de canon s’étant fait entendre au loin, il s’écria comme en sur saut : « Sont-ce déjà les funérailles d’Achille ?» Il expira le g avril, à huit heures et demie du matin.

La douleur publique fut immense et les funérailles furent une véritable apothéose. Par décret de l’Assemblée, Sainte-Geneviève, transformée en Panthéon français, reçut les restes du plus grand orateur de la Révolution. On sait qu’après le 10 août on trouva . dans l’armoire de fer quelques preuves de la vénalité de Mirabeau ; toutefois, ce ne fut qu’après le 9 thermidor qu’on expulsa du Panthéon ses dépouilles pour les remplacer par celles de Mtirut, qui la lendemain de la grande

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catastrophe avait écrit : « Peuple, rends grâce aux dieux 1 ton plus redoutable ennemi vient de succomber... Quel homme de bien voudrait que ses cendres reposassent à côté de Mirabeau ? » Ce fut par un triste jour d’automne de 1794 qu’eut lieu la funèbre exécution. L’homme de la loi qui en avait été chargé s’exprime ainsi dans son procès-verbal informe, ignorant, barbare : Le cortège de la fête s’étant arrêté sur la place du Panthéon, un des citoyens huissiers de la Convention s’est avancé vers la porte d’entrée dudit Panthéon, y a fait lecture du décret qui exclut d’y-celuy les restes d’Honoré Riqueti Mirabeau, qui aussitôt ont été porté dans un cercueil de bois hors de l’enceinte dudit temple, et nous ayant été remis nous avons fait conduire et déposer ledit cercueil dans le lieu ordinaire des sépultures...«Ce lieu n’est autre que Clamart, cimetière des suppliciés, dans le faubourg Saint-Marceau. Le corps y fut porté pendant la nuit, et inhumé, sans nul indice, vers le milieu de l’enceinte. Les sources principales pour étudier l’histoire de Mirabeau, outre de nombreux travaux et des renseignements épars, sont : les Mémoires publiés par le fils adoptif de l’orateur, M. Lucas de Mon— tigny (1824, 8 vol.) ; les Souvenirs sur Mirabeau, d’Étienne Dumont ; enfin la Correspondance avec La Marck, dont nous avons parlé plusieurs fois. M. Hermile Reynald, professeur à la Faculté d’Aix, a publié en 1872 Mirabeau et la Constituante, ouvrage couronné par l’Académie française ; M. de Loménie a publié en 1873 les Mirabeau.

Opinions sur Mirabeau.

« Mirabeau est capable de tout pour de l’argent... même d’une Donne action. » (Rivarol.)

« Il faut l’avouer, parce que c’est la vérité, Mirabeau a eu des convictions politiques sincères et un amour réel de l’humanité. Il avait quelquefois des doutes sur Dieu. Mais la conscience, ce lien entre Dieu et l’homme, n’était pas détruite en lui, et il portait très-haut le sentiment de l’indépendance des opinions et de la puissance du talent. «(De Gdnoudb.)

■ Qui peut ne pas admirer Mirabeau ? Qui peut même se défendre d’une certaine sympathie pour je ne sais quelle élévation mêlée à ses bassesses, pour je ne sais quelle grâce que le cynisme même ne peut eiiacer ? Il est généreux, perfide, grossier, charmant ; il effraye, il dégoûte, il séduit. L’affectation n’a pas détruit en lui le naturel ; l’artifice lui a laissé tout le feu de la passion ; ses petitesses ont respecté sa grandeur. Dès qu’on le voit paraîtra sur la scène de l’histoire, il semble seul entre tous avoir le génie de la politique. On s’efforce d’oublier les misères de sa vie passée, comme on voudrait croire qu’il les a lui-même oubliées pour jamais, et qu’enfin remis à sa place, sentant son âme grandir avec sa fortune, il apporte un homme nouveau à des destinées nouvelles. Malheureusement, M. de La Marck ne nous a pas permis de^ conserver cette illusion. Les souillures de l’écrivain mercenaire se retrouvaient dans le cœur de l’homme d’État. Chose plus étrange encore, peut-être, les misérables paradoxes du déclamateur médiocre se font jour encore dans l’esprit de l’orateur politique... Comment se figure-t-il, lui, le génie de J789 personnifié, qu’on puisse acheter la Révolution française ? Comment lui, cet observateur si clairvoyant de la nature humaine, peut-il se flatter de convaincre la timide honnêteté de Louis XVI, de soumettre la fierté de Marie-Antoinette, et de se rendre maître de leur esprit au point de les entraîner sous sa conduite au milieu des plus grands périls ? Le cardinal de Retz était moins insensé de croire qu’il séduirait Anne d’Autriche. En vérité, on serait tenté quelquefois de supposer que Mirabeau s’inquiétait peu de la royauté et de la révolution, et ne songeait plus qu’à gagner son salaire, > (Ch. de Rkmusat.)

a Un des premiers caractères de Mirabeau, c’était la force lumineuse et pratique de son esprit. L’esprit de Mirabeau était tout politique, et cette forme violente, cette vivacité tnbunitienne dont il couvre ses pensées n’est qu’un emprunt qu’il fait à l’esprit de son temps, ou une satisfaction qu’il lui donne. Mais, chose remarquable, ce qui est chez lui artificiel, convenu, est cependant plein de vigueur, d’originalité, de vérité. Malgré la sagesse intime et cachée de ses projets, ce qu’il jette a son auditoire, cette véhémence de langage, ces déclamations populaires, tout cela est aussi animé, aussi contagieux, aussi puissant que si l’âme de l’orateur eût été bouleversée dans ses derniers replis et agitée de toutes les passions d’un vrai tribun emporté par ses paroles. Voilà le premier trait caractéristique de cet homme ; toutes les puissances et tous les effets de la parole passionnée lui arrivent à la fois. Ironie mordante, amère, mépris superbe qu’il jette du haut de son éloquence sur tous ceux qui le contredisent, impunité naturelle, incontestée à tout ce qu’il ose faire et dire : voilà ses privilèges. » (Villemain. J

« Ses voyages, ses observations, ses immenses lectures lui avaient tout appris, et il avait tout retenu. Mais outré, bizarre, sof)histe même quand il n’était pas soutenu par a passion, il devenait tout autre par elle. Promptement excité par la tribune et la pré MIRA

sence do ses contradicteurs, son esprit s’enflammait : d’abord ses premières vues étaient confuses, ses paroles entrecoupées, ses chairs palpitantes, mais bientôt venait la lumière ; alors son esprit faisait en un instant le travail des années, et, à la tribune même, tout était pour lui découverte, expression vive et soudaine. Contrarié de nouveau, il revenait plus pressant et plus clair, et présentait la vérité en images frappantes ou terribles. Les circonstances étaient-elle3 difficiles, les esprits fatigués d’une longue discussion ou intimidés par le danger, un cri, un mot décisif s’échappait de sa bouche, sa tête se montrait effrayante de laideux et de génie, et l’Assemblée, éclairée ou raffermie, rendait des lois ou prenait des résolutions magnanimes. Fier de ses hautes qualités, s’égayant de ses vices, tour à tour altier ou souple, il séduisait les uns par ses flatteries, intimidait les autres par ses sarcasmes, et les conduisait tous à sa suite par une singulière puissance d’entraînement... Seul ainsi avec son génie, il attaquait le despotisme, qu’il avait juré de détruire. Cependant, s’il ne voulait pas les vanités de la monarchie, il voulait encore moins de l’ostracisme des républiques ; mais n’étant pas assez vengé des grands et du pouvoir, il continuait de détruire. D’ailleurs, dévoré de besoins, mécontent du présent, il s’avançait vers un avenir inconnu, faisant tout supposer de ses talents, de son ambition, de ses vices, du mauvais état de sa fortune, et autorisant par le cynisme de ses propos tous les soupçons et toutes les calomnies. » (Thiers.)

« Laideur éblouissante, figure flétrie, imposante et livide, effronterie de la lèvre se mariant à l’éclair des yeux, tel était Mirabeau. Et il avait l’âme de son visage... Son audace révolutionnaire ne fut qu’un emportement d’orgueil et d’égolsme... Il n’avait ni la vigueur morale, ni les vertus dont la liberté se compose, et l’austère imago des républiques épouvantait de loin sa corruption... Libelliste pour vivre, détracteur acharné de Necker, dénonciateur de Lavater, adversaire de Beaumarchais, prôneur des chiffres suspectés de Clavière et de Panchaud, avocat de Calonne, il se fit un jeu de vendre des manuscrits déjà payés, il se mit à la solde de quelques ambitieux vulgaires, il se mit à la suite des pensées d’autrui, il mérita cette injure de son père : Mon fils, le marchand de parole.’...

p Que dire de Mirabeau pamphlétaire et journaliste ? Il fut la gloire de la presse, il en fut l’opprobre. Polémiste sans égal quand le démon de l’orgueil et de la colère s’éveillait en lui, homme d’État et penseur vigoureux quand il n’était pas forcé d’écrire pour payer le solde de son libertinage et s’acquitter envers les deux danseuses d’opéra qui devaient lui donner la mort entre deux baisers, ce sera-sa honte éternelle d’avoir mis lui-même en pratique ce conseil que reçut de lui un jeune homme : • Si vous voulez réussir dans le monde, tuez votre conscience. » Quand il devint journaliste, il y avait déjà plusieurs années qu’il faisait commerce de son âme et vendait le bruit de son nom. La plupart des écrits dont s’enflait sa renommée n’étaient pas de lui... Dans son journal, il fut lui plus que dans ses autres écrits antérieurs ; il y soutint des discussions lumineuses ; il y éleva quelquefois la politique à une grande hauteur, et il lui arriva de servir la vérité... Mais la vérité veut être servie par des cœurs dignes d’elle I...» (Louis Blanc.)

« À la tribune, Mirabeau était impassible ; ceux qui l’ont vu savent que les flots roulaient autour de lui sans l’émouvoir, et que même il restait maître de ses passions au milieu de toutes les injures... Il ne se crut jamais provoqué au point d’oublier les bienséances oratoires. Mais ce qui lui manquait comme orateur politique, c’était l’art de la discussion dans les matières qui l’exigeaient ; il ne savait pas embrasser une suite de raisonnements et de preuves -, il ne savait pas réfuter une méthode ; aussi était-il réduit à abandonner des motions importantes lorsqu’il avait lu son discours, et, après une entrée brillante, il disparaissait et laissait le champ à ses adversaires. Barnave était plus armé de dialectique et suivait pied à pied les raisonnements de ses antagonistes, mais il n’avait pomt d’imagination, de coloris, de traits, ni, par conséquent, de véritable éloquence. Comme on faisait un jour le parallèle de ses talents didactiques et des talents oratoires de Mirabeau, quelqu’un dit : « Comment pouvez-vous comparer cet espalier artificiel à un arbre en plein vent qui se déploie dans toute sa beauté naturelle ? » Il est sûr que ces deux hommes n’étaient pas de la même trempe ; mais Mirabeau sentait bien son côté faible, et un jour qu’il avait parlé dans ce genre de réfutation avec un peu de succès, il nous disait : « Je vois bien que, pour irnproviser sur une question, il faut commencer par la bien savoir. •

»... La voix de Mirabeau était pleine, mâle et sonore ; elle remplissait l’oreille et la flattait. : toujours soutenue, mais flexible, il se faisait aussi bien entendre en la baissant qu’en l’élevant ; il pouvait parcourir toutes les notes et prononçait les finales avec tant de soin qu’on ne perdait jamais les derniers mots. Sa manière ordinaire était un peu traînante : il commençait avec quelque em MIRA

barras, hésitait souvent, mais de manière a> exciter l’intérêt ; on le voyait, pour ainsi dire, chercher l’expression la plus convenable, écarter, choisir, peser les termes, jusqu’à ce qu’il se fût animé et que les soufflets de la forge fussent en fonction. Dans les moments les plus impétueux, le sentiment qu ; lui faisait appuyer sur les mots pour en exprimer la force l’empêchait d’être rapide ; il avait un grand mépris pour la volubilité française et la fausse chaleur, qu’il appelait les tonnerres et les tempêtes de l’Opéra. Il n’ajamais perdu la gravité d’un sénateur, et son défaut était peut-être à son début un peu d’apprêt et de prétention ; il relevait la tête avec trop d’orgueil et marquait quelquefois son dédain jusqu’à l’insolence. Ce qui est incroyable, c’est qu’on lui faisait parvenir au pied de la tribune ou à la tribune même de petits billets au crayon (comme il s’en écrivait un nombre infini Sans l’Assemblée), et qu’il avait l’art de lire ces notes tout en parlant et de les introduire dans son discours.

Il se sentait beau dans sa laideur ; il étalait avec orgueil, il contemplait dans sa glace, en préparant ses harangues, son buste, sa

frosseur, ses traits fortement marqués, crilés de petite vérole. « On ne connaît pas, disait-il, toute la puissance de ma laideur. » Et cette laideur, il la croyait très-belle. Sa toilette était fort soignée ; il portait une énorme chevelure artistement arrangée, et qui augmentait le volume de sa tète. «Quand je secoue, disait-il, ma terrible hure, il n’y a personne qui ose d’interrompre. > Il se plaçait très-voloiuiers devant une large glace et se regardait parler avec beaucoup de plaisir, portant la tête en-arrière et équarrissant ses épaules. Il avait ce tic des hommes vains que le son de leur nom frappe avec plaisir et qui aiment à le répéter eux-mêmes.

> Mais en cherchant le trait caractéristique do son génie, on le trouve dans la sagacité politique, dans la prévoyance des événements, dans la connaissance des hommes, qu’il m’a paru posséder à un degré plus rare et plus éminent que toutes les autres qualités de l’esprit. Il laissait bien foin derrière lui, à cet égard, les plus distingués de ses collègues... > (Étienne Dumont.)

« Mirabeau est la première grande figure

3ui ouvre l’ère des révolutions, qui traduit en iscours et en actes publics ce qu’avaient dit les livres ; la première qui se dessine, en la dominant encore, dans la tempête.

« Il n’était plus seulement par son organisation un homme de cette race féodale et haute, sauvage et peu affable, dont étnient ses aïeux, ces hommes qui se vantaient d’être tout d’une pièce et sans jointure. Son père, qui l’a si bien connu, persécuté, maudit, haï, et finalement salué et admiré, son père disait de lui : • Il est bâti d’une autre argile > que moi, oiseau hagard dont le nid fut entre quatre tourelles. » Lui, nullement hagard, nullement sauvage et timide, ayant gardé de ses ancêtres le don du commandement, et y.

Joignant ce terrible don de la familiarité, qui ui faisait manier et retourner grands et petits à sa guise, il aspirait par instinct à la vie commune et à une action populaire universelle. Cet orateur inné qui était en lui et qui s’agita de bonne heure sous l’écrivain sentait bien que, pour arriver à cette action vaste et souveraine, pour embrasser les masses et les foules d’un tour familier et puissant, il fallait quitter cette langue que j’appellerai patrimoniale et domestique, cette manière de s’exprimer toute particulière qui était la griffe et parfois le chiffre de sa maison : il lui fallait quitter une bonne fois le style de famille et descendre de sa montagne. Il descendit donc, et, pour arriver à la langue générale et publique, il ne craignit point de traverser la déclamation à la nage et de se plonger dans le plein courant du siècle, bien sur qu’il était d’en ressortir à la fin non moins original et plus grand. Quand on saisit Mirabeau dans ce développement intermédiaire dans la plupart de ses écrits et de ses pamphlets, on le trouve inégal, inachevé, indigeste, et on en triomphe aisément. Pour être juste, n’oublions jamais le point de départ et le but : le point de départ, c’est-à-dire le style abrupt, accidenté, escarpé de ses ancêtres, d’où il lui fallait descendre à tout prix pour conquérir à lui les masses et déployer ses larges sympathies ; le but, c’est-à-dire l’orateur définitif qui sortit de là et qui domina puissamment son époque dans la plus grande tourmente qui fut jamais.

Mirabeau écrivain ne se rendait pas compte sans doute de toutes ces choses. 11 écrivait au jour le jour, par besoin, par nécessité, s’aidaut de tous les moyens à sa portée.

< Il semble que ma fatale destinée soit d’être toujours obligé de tout faire en vingt-quatre heures. » Pourtant, à travers les inégalités et les obstacles, sa puissante nature intérieure suivait sa pente et poussait sa voie. Le dieu était en lui, qui veillait, qui remettuit,

  • à son insu, l’ordre et une sorte d’harmonie

supérieure jusque dans le tumultueux désordre et le chaos orageux de l’homme... C’est l’honneur, c’est le rachat moral

de Mirabeau, d’avoir souffert, d’avoir été homme en tout, non-seulement par ses fautes, par ses entraînements et, nommons les