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une communication instantanée, on ne devrait pas se presser de conclure qu’elle a véritablement lieu dans la nature, car il y a infiniment loin d’une durée de propagation insensible à une durée absolument nulle. Or il peut arriver que cette durée ne soit qu’insensible, parce que les expériences sont faites sur des corps placés à de trop petites distances, ou pour d’autres raisons quelconques. Il eût été, par exemple, impossible de connaître la vitesse de la lumière par des expériences faites sur la Terre ; mais, en prenant pour terme de comparaison les distances des planètes au Soleil, cette vitesse devient sensible, et c’est de cette manière qu’on est parvenu à la déterminer. Quoiqu’on puisse se servir des mêmes distances pour mesurer la durée de la propagation de la pesanteur, cette force pourrait cependant employer plusieurs minutes et même quelques heures à se communiquer du Soleil à la Terre, sans qu’il fût possible d’observer cette durée. Imaginons en effet deux masses, dont l’une, infiniment moindre que l’autre, se meuve autour d’elle, la plus grande étant supposée en repos ; il est visible que, dans les premiers moments, la plus petite masse ira en ligne droite jusqu’à ce que la force attractive de l’autre masse ait commencé à l’atteindre ; mais à ce moment son mouvement sera le même que si la force attractive se propageait dans un instant. Ceci aurait encore lieu si le système de ces deux corps était emporté d’un mouvement commun et uniforme dans l’espace. Or, les planètes et leurs satellites étant à peu près dans le cas de l’hypothèse précédente, on voit que la gravitation pourrait employer un temps beaucoup plus considérable que la lumière à se propager du Soleil à la Terre, sans qu’il puisse être observé. M. Daniel Bernoulli paraît soupçonner cette propagation successive dans son excellente pièce sur Le flux et le reflux de la mer. Suivant cet illustre géomètre, l’action de la Lune peut employer un ou deux jours à parvenir à la Terre. Une propagation aussi lente n’est pas vraisemblable : elle produirait des inégalités sensibles dans le mouvement de la Lune, et paraît d’ailleurs contraire à l’activité avec laquelle la pesanteur s’exerce sur les corps, comme on va le voir dans les articles suivants.