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mathématique, ou régler au moins l’une sur l’autre ; ils ont voulu ainsi donner à leurs théories une étendue dont elles ne sont pas susceptibles, ce qui les a rendues obscures et peu propres à satisfaire les esprits accoutumés à la clarté rigoureuse de la Géométrie. M. d’Alembert a proposé contre elles des objections très fines, qui ont réveillé l’attention des géomètres ; il a fait sentir l’absurdité qu’il y aurait à se conduire, dans un grand nombre de circonstances, d’après les résultats du Calcul des Probabilités, et, par conséquent, la nécessité d’établir dans ces matières une distinction entre le mathématique et le moral ; cette partie des sciences lui devra donc l’avantage d’être appuyée dorénavant sur des principes clairs et d’être resserrée dans ses véritables bornes.

Qu’on me permette ici la digression suivante sur les difficultés dont l’Analyse des hasards a paru susceptible : la probabilité des choses incertaines et l’espérance qui se trouve liée à leur existence sont, comme je l’ai dit, les deux objets de cette Analyse ; la distinction établie précédemment entre l’espérance morale et l’espérance mathématique répond, ce me semble, à toutes les objections que l’on pourrait faire contre le second de ces deux objets ; examinons par conséquent celles qui ont rapport au premier.

Dans la recherche de la probabilité des événements, on part de ce principe, savoir que la probabilité est le nombre des cas favorables divisé par celui de tous les cas possibles, ce qui est évident ; il ne peut donc y avoir de difficulté qu’au tant que l’on supposerait une égale possibilité à deux cas inégalement possibles ; or on ne peut s’empêcher de convenir que les applications que l’on a faites jusqu’ici du Calcul des Probabilités aux objets de la vie civile sont sujettes à cette difficulté. Je suppose, par exemple, qu’au jeu de croix et de pile la pièce que l’on jette en l’air ait plus de pente à retomber d’un côté que de l’autre, mais que les deux joueurs ignorent de quel côté est la plus grande pente ; il est visible qu’il y a autant à parier pour croix comme pour pile ; on peut donc supposer au premier coup, comme on le fait ordinairement, que croix et pile sont également probables ; mais cette sup-