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traire. Il faut donc faire marcher nos deux pièces ensemble : l’esprit par les raisons qu’il suffit d’avoir vues une fois en sa vie, et les sens par la coutume et en ne leur permettant pas de s’incliner au contraire. »

Le moyen que Pascal propose pour la conversion d’un incrédule peut être employé avec succès pour détruire un préjugé reçu dès l’enfance et enraciné par l’habitude. Ces sortes de préjugés naissent souvent de la plus faible cause, dans les imaginations actives. Qu’une personne, attachant au mot gauche une idée de malheur, fasse journellement de la main droite une chose que l’on puisse exécuter indifféremment de l’une ou de l’autre main ; cette habitude peut accroître la répugnance à se servir pour cela, de la main gauche, au point de rendre la raison impuissante contre ce préjugé. Il est naturel de croire qu’Auguste, doué d’une raison supérieure à tant d’égards, s’est reproché quelquefois sa faiblesse de n’oser se mettre en route le lendemain d’un jour de foire, et qu’il a voulu la surmonter. Mais, au moment d’entreprendre un voyage dans l’un de ces jours réputés malheureux, il a pu se dire que le plus sûr était de le différer, augmentant ainsi sa répugnance par l’habitude d’y céder. La répétition fréquente d’actes contraires à ces préjugés doit à la longue les affaiblir et les faire entièrement disparaître.

L’attachement que l’on porte aux personnes qu’on a souvent obligées découle du principe que nous venons de développer. La répétition fréquente d’actes en leur faveur accroît et fait même naître quelquefois le sentiment dont ils sont la suite naturelle. Les actes que le goût d’une chose nous fait exécuter fréquemment augmentent l’intensité de ce goût, et le transforment souvent en passion.

On voit, par ce qui précède, combien notre croyance dépend de nos habitudes. Accoutumés à juger et à nous conduire d’après un certain genre de probabilités, nous donnons à ces probabilités notre assentiment, comme par instinct, et elles nous déterminent avec plus de force que des probabilités bien supérieures, résultats de la réflexion ou du calcul. Une chose invraisemblable nous laisse souvent dans le doute : nous ne balançons point à la rejeter, si elle est contraire à nos proba-