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de calmer notre inquiétude sur l’origine des choses qui nous intéressent.

Je ne puis m’empêcher ici d’observer combien Newton s’est écarté, sur ce point, de la méthode dont il a fait d’ailleurs de si heureuses applications. Depuis la publication de ses découvertes sur le système du monde et sur la lumière, ce grand géomètre, livré à des spéculations d’un autre genre, rechercha par quels motifs l’auteur de la nature a donné au système solaire la constitution dont nous avons parlé. Après avoir exposé, dans le scolie qui termine l’ouvrage des Principes[1], le phénomène singulier du mouvement des planètes et des satellites dans le même sens, à peu près dans un même plan et dans des orbes presque circulaires, il ajoute : « Tous ces mouvements si réguliers n’ont point de causes mécaniques, puisque les comètes se meuvent dans toutes les parties du ciel et dans des orbes fort excentriques… Cet admirable arrangement du Soleil, des planètes et des comètes ne peut être que l’ouvrage d’un être intelligent et tout-puissant. » Il reproduit à la fin de son Optique la même pensée, dans laquelle il serait encore plus confirmé, s’il avait connu ce que nous avons démontré, savoir, que les conditions de l’arrangement des planètes et des satellites sont précisément celles qui en assurent la stabilité. « Un destin aveugle », dit-il, ne pouvait jamais faire mouvoir ainsi toutes les planètes, à quelques inégalités près à peine remarquables, qui peuvent provenir de l’action mutuelle des planètes et des comètes, et qui probablement deviendront plus grandes par une longue suite de temps, jusqu’à ce qu’enfin ce système ait besoin d’être remis en ordre par son auteur. » Mais cet arrangement des planètes ne peut-il pas être lui-même un effet des lois du mouvement ? et la suprême intelligence que Newton fait intervenir ne peut-elle pas l’avoir fait dépendre d’un phénomène plus général ? Tel est, suivant nos conjectures, celui d’une matière nébuleuse éparse en amas divers, dans l’immensité des cieux. Peut-on encore affirmer

  1. Ce scolie ne se trouve point dans la première édition de l’Ouvrage. Il paraît que Newton jusqu’alors s’était uniquement livré aux sciences mathématiques, qu’il a, malheureusement pour elles et pour sa gloire, trop tôt abandonnées.