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plus facile à construire géométriquement ou à réduire en nombre : Newton lui-même en offre beaucoup d’exemples dans son Arithmétique universelle. Aussi les géomètres modernes, convaincus de cette supériorité de l’Analyse, se sont spécialement appliqués à étendre son domaine et à reculer ses bornes[1].

Cependant les considérations géométriques ne doivent point être abandonnées ; elles sont de la plus grande utilité dans les arts. D’ailleurs il est curieux de se figurer dans l’espace les divers résultats de l’Analyse, et réciproquement de lire toutes les modifications des lignes et des surfaces et les variations du mouvement des corps dans les équations qui les expriment. Ce rapprochement de la Géométrie et de l’Analyse répand un nouveau jour sur ces deux sciences ; les opérations intellectuelles de celle-ci, rendues sensibles par les images de la première, sont plus faciles à saisir, plus intéressantes à suivre, et quand l’observation réalise ces images et transforme les résultats géométriques en lois de la nature, quand ces lois, en embrassant l’univers, dévoilent à nos yeux ses états passés et à venir, la vue de ce sublime spectacle nous fait éprouver le plus noble des plaisirs réservés à la nature humaine.

Environ cinquante ans s’écoulèrent depuis la découverte de l’attraction, sans que l’on y ajoutât rien de remarquable. Il fallut tout ce temps à cette grande vérité, pour être généralement comprise et pour surmonter les obstacles que lui opposait l’opinion, admise sur le continent, que l’on devait, à l’exemple de Descartes, expliquer mécaniquement la pesanteur ; les divers systèmes imaginés pour cet objet, et l’autorité de plusieurs grands géomètres qui la combattirent, peut-être par amour-propre, mais qui cependant en ont hâté le progrès par

  1. Les premières applications de l’Analyse au mouvement de la Lune offrirent un exemple de cette supériorité ; elles donnèrent avec facilité, non seulement l’inégalité de la variation, que Newton avait obtenue difficilement par un procédé synthétique, mais encore l’évection qu’il n’avait pas rattachée à la loi de la pesanteur. Il serait certainement impossible de parvenir par la synthèse aux nombreuses inégalités lunaires, dont les valeurs, déterminées par l’Analyse, représentent les observations aussi exactement que nos meilleures Tables formées par la combinaison d’un nombre immense d’observations avec la théorie.