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et sa réputation, loin de s’affaiblir par le temps, s’augmente par les vains efforts de ceux qui cherchent à l’égaler. Les sciences, au contraire, sans bornes comme la nature, s’accroissent à l’infini par les travaux des générations successives ; le plus parfait ouvrage, en les élevant à une hauteur d’où elles ne peuvent désormais descendre, donne naissance à de nouvelles découvertes et prépare ainsi des ouvrages qui doivent l’effacer. D’autres présenteront sous un point de vue plus général et plus simple les théories exposées dans le Livre des Principes et toutes les vérités qu’il a fait éclore ; mais il restera comme monument de la profondeur du génie qui nous a révélé la plus grande loi de l’univers.

Cet Ouvrage et le Traité non moins original du même auteur sur l’Optique réunissent au mérite des découvertes celui d’être les meilleurs modèles que l’on puisse se proposer dans les sciences et dans l’art délicat de faire les expériences et de les assujettir au calcul. On y voit les plus heureuses applications de la méthode qui consiste à s’élever, par une suite d’inductions, des phénomènes aux causes et à redescendre ensuite de ces causes à tous les détails des phénomènes.

Les lois générales sont empreintes dans tous les cas particuliers ; mais elles y sont compliquées de tant de circonstances étrangères, que la plus grande adresse est souvent nécessaire pour les découvrir. Il faut choisir ou faire naître les phénomènes les plus propres à cet objet, les multiplier en variant leurs circonstances et observer ce qu’ils ont de commun entre eux. Ainsi on s’élève successivement à des rapports de plus en plus étendus, et l’on parvient enfin aux lois générales, que l’on vérifie soit par des preuves ou des expériences directes, lorsque cela est possible, soit en examinant si elles satisfont à tous les phénomènes connus.

Telle est la méthode la plus sûre qui puisse nous guider dans la recherche de la vérité. Aucun philosophe n’a été, plus que Newton, fidèle à cette méthode ; aucun n’a possédé à un plus haut point ce tact heureux qui, faisant discerner dans les objets les principes généraux qu’ils recèlent, constitue le véritable génie des sciences, tact qui lui fit re-