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Dans ses dernières années, Tycho Brahe eut pour disciple et pour aide Kepler, né en 1571 à Weil dans le duché de Würtemberg, et l’un de ces hommes rares que la nature donne de temps en temps aux sciences, pour en faire éclore les grandes théories préparées par les travaux de plusieurs siècles. La carrière des sciences lui parut d’abord peu propre à satisfaire l’ambition qu’il avait de s’illustrer ; mais l’ascendant de son génie et les exhortations de Mœstlin le rappelèrent à l’Astronomie, et il y porta toute l’activité d’une âme passionnée pour la gloire.

Impatient de connaître la cause des phénomènes, le savant doué d’une imagination vive l’entrevoit souvent avant que les observations aient pu l’y conduire. Sans doute il est plus sûr de remonter des phénomènes aux causes ; mais l’histoire des sciences nous montre que cette marche lente et pénible n’a pas toujours été celle des inventeurs. Que d’écueils doit craindre celui qui prend son imagination pour guide ! Prévenu pour la cause qu’elle lui présente, loin de la rejeter lorsque les faits lui sont contraires, il les altère pour les plier à ses hypothèses ; il mutile, si je puis ainsi dire, l’ouvrage de la nature pour le faire ressembler à celui de son imagination, sans réfléchir que le temps dissipe ces vains fantômes, et ne consolide que les résultats de l’observation et du calcul. Le philosophe vraiment utile au progrès des sciences est celui qui, réunissant à une imagination profonde une grande sévérité dans le raisonnement et dans les expériences, est à la fois tourmenté par le désir de s’élever aux causes des phénomènes, et par la crainte de se tromper sur celles qu’il leur assigne.

Kepler dut à la nature le premier de ces avantages, et Tycho Brahe lui donna pour le second d’utiles conseils, dont il s’écarta trop souvent, mais qu’il suivit dans tous les cas où il put comparer ses hypothèses aux observations, ce qui, par la méthode d’exclusion, le conduisit, d’hypothèses en hypothèses, aux lois des mouvements planétaires. Ce grand observateur, qu’il alla voir à Prague et qui dans les premiers ouvrages de Kepler avait démêlé son génie à travers les analogies mystérieuses des figures et des nombres dont ils étaient pleins, l’ex-