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Saturne. Le 14 novembre 1758, il annonça à l’Académie des Sciences que la durée du retour de la comète à son périhélie serait d’environ 618 jours plus longue dans la période actuelle que dans la précédente, et qu’en conséquence la comète passerait à son périhélie vers le milieu d’avril 1759. Il observa en même temps que les petites quantités négligées dans ses approximations pouvaient avancer ou reculer ce terme d’un mois : il remarqua d’ailleurs « qu’un corps qui passe dans des régions aussi éloignées, et qui échappe à nos yeux pendant des intervalles aussi longs, pourrait être soumis à des forces totalement inconnues, telles que l’action des autres comètes, ou même de quelque planète toujours trop distante du Soleil, pour être jamais aperçue ». Le géomètre eut la satisfaction de voir sa prédiction accomplie : la comète passa au périhélie le 12 mars 1759, dans les limites des erreurs dont il croyait son résultat susceptible. Après une nouvelle revision de ses calculs, Clairaut a fixé ce passage au 4 avril, et il l’aurait avancé jusqu’au 24 mars, c’est-à-dire à douze jours seulement de distance de l’observation, s’il eût employé la valeur de la masse de Saturne donnée dans le Chapitre précédent. Cette différence paraîtra bien petite, si l’on considère le grand nombre des quantités négligées et l’influence qu’a pu avoir la planète Uranus, dont l’existence, au temps de Clairaut, était inconnue.

Remarquons, à l’avantage des progrès de l’esprit humain, que cette comète, qui dans le dernier siècle a excité le plus vif intérêt parmi les géomètres et les astronomes, avait été vue d’une manière bien différente, quatre révolutions auparavant, en 1456. La longue queue qu’elle traînait après elle répandit la terreur dans l’Europe, déjà consternée par les succès rapides des Turcs, qui venaient de renverser le Bas-Empire, et le pape Calixte ordonna des prières publiques, dans lesquelles on conjurait la comète et les Turcs. On était loin de penser, dans ces temps d’ignorance, que la nature obéit toujours à des lois immuables. Suivant que les phénomènes arrivaient et se succédaient avec régularité ou sans ordre apparent, on les faisait dépendre des causes finales ou du hasard, et lorsqu’ils offraient quelque chose