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M. de Laplace était né à Beaumont-en-Auge, dans le département du Calvados, le 23 mars 1749. Un goût très vif, quelque chose de plus puissant que les goûts ordinaires, le porta de bonne heure vers l’étude des Mathématiques. Comme Pascal, il les parcourut plutôt qu’il ne les apprit, parce qu’il les devina comme lui, et qu’il ne chercha dans leurs combinaisons les plus abstraites que les formules ou les moyens de méditations d’un ordre plus élevé encore. À 22 ans, il vint à Paris : à 24, il était de l’Académie des Sciences ; et pourtant il était arrivé seul, sans appui, presque sans recommandations. Mais il avait trouvé de bonne heure, au sein du Parlement, un ami que le goût des mêmes sciences rapprocha de lui, qui fut son premier guide, qui en fut récompensé par la dédicace de son premier Ouvrage : le président de Saron, un des membres les plus distingués de cette magistrature généreuse, où tout était conscience et devoir, et dont la France conservera longtemps le souvenir.

C’était alors un temps de paix et de repos ; la France était heureuse à l’ombre du trône de ses rois. Mais ce bonheur devait avoir un terme. Bientôt la misère entoura les savants modestes, pour lesquels rien ne remplaçait la munificence des fils de Louis XIV, et le danger suivit de près la misère. Le vieil Anquetil fut réduit à venir arracher, pour se nourrir, l’herbe qui croissait dans les allées du bois de Boulogne ; Lavoisier, plus malheureux encore, paya de sa tête l’irréparable tort de sa fortune ; et le président de Saron expia, par le même supplice, 40 ans de bienfaits et de vertus. Lagrange, Laplace et un autre savant que je vois assis parmi vous, n’échappèrent à la mort que parce qu’on les mit en réquisition pour calculer la théorie des projectiles, pour diriger les procédés du tannage ou pour préparer la fabrication du salpêtre. Cette fois, du moins, la Science protégea ses disciples ; mais les disciples ne furent pas ingrats à la Science qui les avait défendus.

Des jours plus calmes renaissaient à peine que M. de Laplace donna son Exposition du système du Monde et sa Mécanique céleste : grands, immenses Ouvrages, où l’homme, placé en face de tout ce qui l’envi-