Page:Laplace - Œuvres complètes, Gauthier-Villars, 1878, tome 14.djvu/268

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seulement prévoir tous les effets qui doivent résulter de circonstances données, mais encore en déterminer exactement les quantités.

Si l’on considère l’ensemble des phénomènes capillaires et leur dépendance du seul principe d’une attraction entre les molécules des corps, décroissante avec une extrême rapidité, il est impossible de révoquer ce principe en doute. Cette attraction est la cause des affinités chimiques : elle ne s’arrête point à la surface des corps ; mais pénétrant dans leur intérieur, à des profondeurs qui, quoique imperceptibles à nos sens, sont très sensibles dans le jeu des affinités, elle produit cette influence des masses, dont M. Berthollet a développé les effets d’une manière si neuve et si heureuse. Combinée avec la figure des espaces capillaires, elle donne naissance à une variété presque infinie de phénomènes qui rentrent maintenant, comme les phénomènes célestes, dans le domaine de l’Analyse. Leur théorie est le point de contact le plus intime de la Physique avec la Chimie, deux sciences qui se touchent aujourd’hui partant de côtés, que l’on ne peut cultiver l’une avec un grand succès, sans avoir approfondi l’autre. La ressemblance de la figure des fluides élevés, déprimés ou arrondis par l’action capillaire, avec les surfaces engendrées par les courbes connues sous les noms de chaînette, de linéaire et d’élastique, dont les géomètres s’occupèrent à l’origine du Calcul infinitésimal, donna lieu de penser à quelques physiciens que les surfaces des fluides étaient uniformément tendues, comme les surfaces élastiques. Segner, qui paraît avoir eu le premier cette idée[1], sentit bien qu’elle ne pouvait être qu’une fiction propre à représenter les effets d’une attraction entre les molécules, décroissante très rapidement. Cet habile géomètre essaya de démontrer que cette attraction devait avoir les mêmes résultats ; mais, en suivant son raisonnement, il est facile d’en reconnaître l’inexactitude, et l’on peut juger, par la note qui termine ses recherches, qu’il semble n’en avoir pas été satisfait lui-même. D’autres physiciens, en reprenant l’idée d’une tension uniforme des surfaces fluides, l’ont

  1. Mémoires de la Société royale de Göttingue, t. I.