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régulateur des jours et des saisons, voit que rien ne peut, dans le moment actuel, en arrêter le cours.

Ici se présente la question agitée par quelques philosophes touchant influence du passé sur la probabilité de l’avenir.

Supposons qu’au jeu de croix et pile on ait amené croix plus souvent que pile ; par cela seul nous serons portés à croire que, dans la constitution de la pièce, il existe une cause constante qui le favorise, les coups passés influent donc alors sur la probabilité des événements futurs. Ainsi, dans la conduite de la vie, le bonheur est souvent une preuve d’habileté qui doit faire employer de préférence les personnes heureuses. Mais si, par l’instabilité des circonstances, nous sommes ramenés sans cesse à l’état d’une indécision absolue sur ce qui doit arriver ; si, par exemple, on change de pièce à chaque coup au jeu de croix et pile, le passé ne peut répandre aucune lumière sur l’avenir, et il serait absurde d’en tenir compte. On voit par là ce qu’il faut penser de ces veines de bonheur ou de malheur que les hommes imaginent pour expliquer la constance de quelques événements qui leur sont favorables ou contraires. Ils tombent même à cet égard dans une contradiction évidente, puisque dans plusieurs cas, et spécialement dans les loteries, ils jugent qu’un événement qui depuis longtemps n’est pas arrivé en devient plus vraisemblable. Cette erreur fort commune me parait tenir à une illusion par laquelle on se reporte involontairement à l’origine des événements. Il est, par exemple, très peu vraisemblable qu’au jeu de croix et pile on amènera croix dix fois de suite ; cette invraisemblance, qui nous frappe encore lorsqu’il est arrivé neuf fois, nous porte à croire qu’au dixième coup il n’arrivera pas. Mais, loin de nous faire juger ainsi, le passé, en paraissant indiquer dans la pièce plus de pente pour croix que pour pile, rend le premier de ces événements plus probable que l’autre ; il augmente conséquemment la probabilité de l’arrivée de croix au coup suivant. En étendant généralement cette remarque aux causes inconnues, mais constantes, qui favorisent les événements, on trouve ce résultat remarquable, savoir, qu’elles décroissent toujours la probabilité des événements composés de la répétition