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d’y satisfaire, elles acquièrent un degré de vraisemblance qui finit par se confondre avec la certitude.

Ce que l’on observe dans l’Analyse a également lieu dans la nature, dont les phénomènes ne sont, en effet, que les résultats mathématiques d’un petit nombre de lois invariables. Pour découvrir ces lois, il faut choisir ou faire naître les phénomènes les plus propres à cet objet, les multiplier pour en varier les circonstances, et observer ce qu’ils ont de commun entre eux. Ainsi l’on s’élève à des rapports de plus en plus étendus, et l’on parvient enfin aux lois générales que l’on vérifie, soit par des preuves ou des expériences directes, lorsque cela est possible, soit on examinant si elles satisfont à tous les phénomènes connus.

Telle est la méthode la plus sûre qui puisse nous guider dans la recherche de la vérité. On lui doit les plus belles découvertes dans les sciences ; mais son application la plus sublime et la plus étendue est celle que Newton en a faite au système du Monde, comme vous pouvez le voir dans l’Ouvrage que je vous ai annoncé au commencement de cette Leçon.

Ce système offre un exemple remarquable d’une probabilité bien supérieure à celle d’un grand nombre de faits historiques sur lesquels on ne se permet aucun doute, mais qui, n’étant point analogue aux probabilités dont nous faisons habituellement usage, n’est pas généralement sentie. L’observation nous montre les planètes et leurs satellites décrivant des orbes presque circulaires, et tournant sur eux-mêmes dans le sens de la rotation du Soleil, et sur des plans peu inclinés à son équateur. Si l’on applique le calcul à ce phénomène extraordinaire, on trouve qu’il y a des millions de milliards à parier contre un qu’il n’est point dû au hasard, et qu’il dépend d’une cause générale qui, primitivement, embrassa tous les corps du système planétaire, sans exercer d’influence sur les comètes observées, puisqu’elles se meuvent dans tous les sens et sous toutes les inclinaisons à l’équateur solaire. Cependant, leurs orbes étant fort excentriques, tandis que ceux des planètes sont presque circulaires, il est naturel de penser que la même cause fit disparaître, à l’origine, les orbes qui présentaient les nuances