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Annales impériales, le Rituel, le Traité de la musique, le Livre des transformations, et j’ai composé la Chronique du royaume de Lou (le Tch’un-thsieou) ; j’ai lu les maximes des anciens rois ; j’ai mis en lumière les belles actions des sages, et personne n’a daigné m’employer. Il est bien difficile, je le vois, de persuader les hommes.

« — Les six arts libéraux, reprit Lao-tseu, sont un vieil héritage des anciens rois ; ce dont vous vous occupez ne repose que sur des exemples surannés, et vous ne faites autre chose que de vous traîner sur les traces du passé, sans rien produire de nouveau. »

Confucius, étant revenu près de ses disciples, resta trois jours sans prononcer un mot. Tseu-kong en fut surpris et lui en demanda la cause.

« Quand je vois un homme, dit Confucius, se servir de sa pensée pour m’échapper comme l’oiseau qui vole, je dispose la mienne comme un arc armé de sa flèche pour le percer ; je ne manque jamais de l’atteindre et de me rendre maître de lui. Lorsqu’un homme se sert de sa pensée pour m’échapper comme un cerf agile, je dispose la mienne comme un chien courant pour le pousuivre ; je ne manque jamais de le saisir et de l’abattre. Lorsqu’un homme se sert de sa pensée pour m’échapper comme le poisson de l’abîme, je dispose la mienne comme l’hameçon du pêcheur ; je ne manque jamais de le prendre et de le faire tomber en mon pouvoir. Quant au dragon qui s’élève sur les nuages et vogue dans l’éther, je ne puis le poursuivre. Aujourd’hui j’ai vu Lao-tseu ; il est comme le dragon[1] ! A sa voix, ma bouche est restée béante, et je n’ai pu la fermer ; ma langue est sortie à force de stupeur, et je n’ai pas eu la force de la retirer ; mon âme a été plongée dans le trouble, et elle n’a pu reprendre son premier calme. »

Yang-tseu étant allé voir Lao-tseu, le philosophe lui dit : « Les « taches du tigre ou du léopard et l’agilité du singe sont ce qui les expose au flèches du chasseur. — Oserais-je, dit Yang-tseu, vous

  1. Ceci n’est que l’amplification d’un passage correspondant dans la notice historique de Sse-ma-thsien. (Voy. pag. xx, lig. 8. Cf. Tchoang-tseu, liv. III, ol. 59.)