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LETTRES DU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.
I. — CE QUE DOIT ETRE UN ROI DE FRANCE.
A Gustave III *.
A Paris, ce lundi, 10 juin 1771

Si vous employez la politique avec moi, comment puis-je croire que vous me traitiez avec l’amitié dont vous m’avez flattée ? Et, si ce n’est pas politique, comment puis-je expliquer ce que vous me dites de la bonté de notre roi ?… Peut-on être bon, quand on n’a aucun sentiment ?… pas même celui de la pitié ? Ce grand acte de douceur, que vous citez, me semble pouvoir être disputé. Car, je vous prie de me le dire, quel acte de révolte ont fait les princes- ?

Au reste, cette douceur, comme vous l’appelez, ne durera pas longtemps, car mon cousin est là… Le respect pour Votre Majesté m’empêche d’en dire davantage. Elle m’accuse de ne pas aimer les rois*. Hélas ! ce n’est pas ma faute. Mon cœur est porté à aimer ses devoirs, et ce n’est que le regret de ne pouvoir jouir des sentimens les plus nobles qui me fait mettre tant de chaleur à l’opinion que vous me reprochez. C’est un sentiment"^ si vrai que l’autre jour, à la représentation de Dayard^, à Versailles, j’aurais acheté, de mon sang, une larme du roi. Mais si vous aviez vu son air d’indifférence, l’ennui de M. le Dauphin*’, les rires de Mesdames, à ce tableau si touchant des sentimens de notre

1. Cf. p. 515. — Ce fragment de lettre est cité aussi par M. GefTroy (t. I, 259), avec quelques différences de texte. Je signalerai les principales variantes.

2. Les princes du sang avaient refusé d’assister au lit de juslice tenu à Versailles le 13 avril, où le roi installa le Parlement Manpeou. Le roi leur interdit de se présenter devant lui.

3. Le duc d’Aiguillon dont on ^enu plus loin le portrait : cf. p. 534

4. M. Geffroy lit : le rot.

5. « Un mouvement », lit M. Geffroy, et cette leçon est assurément la meilleure.

6. Gaston et Uayard, tragédie de De Dclloy (1727-1775), jouée à Versailles le 51 mai. De Celloy est surtout connu par le Siège de Calais (17G5). Ces tragédies dont le sujet national et les lieux communs patriotiques firent le succès, sont des œuvres fort médiocres, et d’un style détestable.

7. Le futur Louis XVI.