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époque si reculée : « Les deux esprits éternels vont et viennent partout, dit-il, seulement les hommes connaissent l’un sans connaître l’autre. » N’a-t-il pas voulu dire que l’on voyait bien le feu dans ses manifestations visibles, mais qu’on ignorerait toujours la puissance de l’invisible ? Et il continue, enchaîné dans sa pensée, selon son énergique métaphore, la poursuite de l’âme suprême, il soupçonne l’unité de Dieu, il frôle la vérité ; encore un élan, et il l’affirmerait ; mais il se contente de confesser la foi du Védisme, tout en cherchant à s’en rendre compte : « L’esprit divin qui circule au ciel, on l’appelle Indra, Mitra, Varouna, Agni. Les sages donnent à l’être unique plus d’un nom. »

Cette intuition d’un esprit suprême, qui réside au ciel, domine la terre et gouverne le monde, est aussi précieuse que significative dans la bouche d’un des plus nobles et plus anciens Richis ; elle ébranle bien vivement l’hypothèse que les chantres des Védas ne possédaient pas le sentiment de l’unité divine. Ils en ont, au contraire, plus que le souvenir, plus que l’espoir, ils en ont la certitude et en cherchent la démonstration. À nos yeux ils ont toujours conservé dans leur âme ce sentiment épuré et sublime, et ils nous semblent même l’avoir imposé à leurs successeurs, les brahmanes. Aussi, répéterons-nous avec M. Villemain, dans sa belle étude sur Pindare et la poésie lyrique : « La rencontre des mêmes notions dans l’homme atteste l’identité des âmes et leur affinité naturelle avec la vérité divine. »

Quel que soit, du reste, le sens réel des Védas, quel que soit l’esprit qui les ait conçus, la foi qui les ait chantés, on demeure tout étonné, au point de vue littéraire, de la sérénité du style, de la grandeur des idées, de la fermeté des sentiments qui les caractérisent. Il semble qu’un souffle divin ait enflammé tous ces esprits, inspiré tous ces poëtes. On croirait, à les entendre, que, de leur temps, la fraîcheur odorante qui s’élevait, à l’aurore, du fond des prairies, du feuillage des arbres, du sein des fleurs, avait plus de charme pour les sens et de grâce pour l’esprit que de nos jours. Mais si le ciel enchante les Richis par ses clartés, la terre par ses parfums, l’atmosphère par ses couleurs ; si la brise qui agite les moissons, la rosée qui diamante les herbes, le rayon naissant qui empourpre l’espace, jettent leur âme dans l’extase et dirigent leurs chants vers les cieux, n’est-ce pas la preuve indiscutable que leur cœur est poétique et que leurs lèvres sont sincères ? N’en ressort-il pas cette évidence que l’humanité des premiers âges sentait instinctivement la divinité sourdre de l’âme, comme une source de la montagne ? Que voulez-vous que soient ces vents harmonieux et bienfaisants, sinon des dieux propices, et cette atmosphère vivifiante, et ce soleil fécondant, et cette nature si riche, et ces eaux si utiles, c’est-à-dire tous les génies védiques, sinon d’admirables allégories de la force, de la grandeur et de la générosité d’un Être supérieur et créateur, qui détaille ses bienfaits avec tant de prodigalité, que le contemplateur de sa bonté finit par s’égarer dans ces manifestations infinies.

Ce n’est pourtant que par les idées, par les images, par les élans du cœur que nous pouvons goûter ces délicieuses poésies, car nous ne perce-