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Il sera intéressant de faire voir, pour terminer cette discussion, qu’à ceux-là mêmes qui ont combattu avec le plus d’insistance l’idée d’une « morale théorique », ou d’une « métamorale », comme ils disent parfois, il est arrivé de reconnaître implicitement la possibilité de cette « morale théorique », de retourner à cette « métamorale ». L’exemple de M. Lévy-Bruhl est instructif à cet égard.

Désireux de rester conséquent avec lui-même, M. Lévy-Bruhl s’est défendu du mieux qu’il a pu contre la nécessité — qui s’imposait à lui d’une manière inéluctable — de mettre quelque chose à la place de la morale, qu’il prétend supprimer, et par suite de faire de la morale encore. De là sans doute cette affirmation qu’il répète souvent, et à laquelle il est difficile d’accorder une pleine créance, que les croyances morales, une fois nées, persisteraient malgré l’analyse qui en pourrait être faite, malgré la connaissance qu’on aurait acquise de leur origine[1]. Et certes, si nos croyances


    côté les arguments que j’appellerai extérieurs, par exemple celui que M. Lévy-Bruhl indique à la page 271 de son livre (9, § 2), et qui consiste à dire qu’une morale philosophique doit s’accorder avec l’idéal moral de la société à laquelle elle s’adresse, sous peine de demeurer ignorée ou d’être immédiatement rejetée. J’ai négligé également certains arguments qui m’ont paru moins solides que les arguments discutés ci-dessus : ainsi M. Lévy-Bruhl indique — avec raison — qu’un des postulats de la « morale théorique », c’est la possibilité d’une systématisation complète de la conduite ; et il fait valoir contre cette possibilité le caractère fragmentaire, l’incohérence des croyances qui constituent la conscience morale dans les sociétés et chez les individus, l’existence des « conflits de devoirs » (3, § 2); mais qu’importe que les croyances morales traditionnelles, que les idées dont est composée la conscience morale d’un individu ne puissent pas être systématisées ? pas plus dans les questions pratiques que dans les questions spéculatives le philosophe n’est tenu de s’accorder avec les opinions reçues.

  1. 7, § 1. pp. 192-193 ; 9, § 2, pp. 269-270.