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Est-ce un regard de Dieu qui tombe sur nous ? Il y a des jours où l’on se sent meilleur, où l’on est enclin à toutes les bontés. Ce soir-là, j’aurais voulu délivrer tous les malheureux de leur souffrance, et sécher tous les yeux humains de leurs larmes. La vue de cette outarde captive m’était maintenant une torture, et je souffrais pour elle comme l’exilé doit souffrir loin de sa patrie…

Un soir, profitant d’un moment où j’étais seule, je pris mes ciseaux et me dirigeai du côté du poulailler. Une lune ronde et brillante éclairait tout devant moi, jusqu’aux plus sombres profondeurs. Les arbres semblaient être une multitude d’ailes brillantes. J’entrai doucement dans l’enclos. L’outarde dormait, seule, en son coin, le cou plié sous son aile. Je m’approchai d’elle sans bruit, et quand elle ouvrit ses petits yeux brillants j’avais déjà coupé d’un trait la corde qui la retenait prisonnière. Encore engourdie par le sommeil, elle ne comprit pas tout de suite son bonheur. Elle me regardait d’un air étonné. Alors, je la pris dans mes bras, je la secouai, et je lui ouvris les deux ailes en disant : « Va, ma belle captive, ma pauvre exilée, va, je te rends ta liberté ! Va retrouver tes sœurs, va voler