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LES « CHÊNEURS »

et des mots brutaux. Cependant, les « Chêneurs » se contentèrent de prendre le cheval par la bride et de le faire tourner dans le chemin, en chantant et en proférant des paroles révoltantes, et cela pendant une bonne demi-heure. Les misérables jouissaient de notre frayeur : ils avaient l’humeur gaie ce jour-là. Pour nous, le temps était bien long. La farce n’était pas du goût de mon père. Malgré ses douleurs, tout blême, incapable de bouger, je l’entendis murmurer tout bas : « Mes canailles de brigands, si jamais je viens à vous rencontrer en bonne santé, je vous reconnaîtrai. » Après avoir jugé que le supplice avait duré assez longtemps les cinq « Chêneurs » se contentèrent de souffleter mon père et ma mère, à tour de rôle, en leur souhaitant bon voyage, et chacun d’eux, prenant un bâton, ils en donnèrent sur le dos du cheval, qui partit comme une flèche. Les malotrus espéraient sans doute que le cheval viendrait à nous verser sur le sol, où nous nous serions assommés. Mais la divine Providence veillait sur nous, car nous arrivâmes chez mon oncle sans autre accident. La famille de mon oncle, voyant notre état de surexcitation, s’empressa de nous donner les soins nécessaires. Néanmoins, ma mère dut prendre le lit, et