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comme l'écrin, de contenir des choses exquises, et qui ne se révèlent ce qu'elles sont qu'involontairement et par hasard. Exclusivement occupé de sa profession, savant et charitable, M. Bouchard se répandait peu ; je ne le connaissais que de vue. Je ne soupçonnais pas en lui un émule en poésie.

À mon départ pour l'Orient, en 1832, il écrivit ces adieux poétiques et touchants qu'on lira à la fin de ce volume ; il ne me les adressa même pas. Je ne les connus que deux ans plus tard, à mon retour, par un ami commun, fureteur obligeant de toutes les belles choses, qu'on appelait M. Ronot, et qui vient de laisser, en mourant, une place vide dans tous les bons coeurs du pays. Ces vers me ravirent ; je voulus remercier l'auteur dans sa langue. Je tâchai de m'élever par la pensée à la hauteur où M. Bouchard s'était placé pour contempler le large horizon de l'avenir. J'écrivis l'Utopie. Je la consacrai à son nom.

Cette méditation est certainement, selon moi, une des moins indignes du regard des philosophes, peut-être aussi des poètes. Je n'ai jamais ouvert plus large mon aile, si j'ai des ailes ; jamais vu de plus haut, jamais regardé plus loin, jamais touché de plus près. Quand je veux me souvenir que je fus poète, ce sont des strophes de l’Utopie que je me plais à me réciter. Mais cette méditation, comme toutes celles de ce volume, était demeurée inconnue : habent sua fata libelli. Ce n'était pas le temps des vers. J'espère toujours que l'heure de cette contemplation reviendra. Il faut pardonner ces illusions aux artistes : sans l'espérance d'être un jour compris, que feraient-ils ?