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noble, belle et grande femme, retentissent de ma faible voix jusqu'au delà de son tombeau.

Voici comment j'avais eu le bonheur de la connaître. À l'époque où mes premiers vers, avant d'être publiés, commençaient à circuler dans les salons lettrés de Paris, un de mes amis, le comte de Virieu, me présenta à Mme de Sainte-Aulaire. Mme de Sainte-Aulaire, dans toute la fleur de sa beauté, et déjà dans toute la maturité de son esprit, réunissait dans son salon tous les hommes, jeunes alors, qui se sont fait des noms depuis dans les lettres, dans les arts, à la tribune, dans les affaires publiques. Inconnu et réservé, j'y voyais; sans y être aperçu, M. Decazes, M. Guizot, M. Villemain, M. de La Fayette, M. le duc de Broglie, les ministres, les orateurs, les professeurs, les écrivains, les poètes du moment. Mme de Sainte-Aulaire était bien digne, par la grâce, par le charme et par le rayonnement doux et à demi-jour de son esprit, d'être le centre de cette réunion d'hommes et de femmes d'élite. J'y étais déplacé par ma jeunesse et par mon obscurité ; mais la bonté de Mme de Sainte-Aulaire m'illustrait d'espérance ; son indulgence m'encourageait à tenter aussi la célébrité. Elle me fit réciter deux ou trois fois quelques vers devant ces juges. Mon nom est éclos dans ce salon. Je ne passe jamais devant ce bel hôtel à grande cour de la rue de l'Université sans me souvenir de l'effort que j'avais eu à faire sur moi-même pour vaincre ma timidité de jeune homme en la traversant, et sans envoyer mentalement un respect et une reconnaissance à la femme distinguée qui m'y accueillait.