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mains du premier et du plus puissant des factieux. Une autre inquiétude agitait l’esprit du roi et troublait plus profondément le cœur de la reine : ils n’ignoraient pas qu’il était question au dehors, soit à Coblentz, soit dans les conseils de Léopold et du roi de Prusse, de déclarer le trône de France vacant de fait par le défaut de liberté du roi, et de nommer régent du royaume un des princes émigrés, afin d’appeler à lui avec une apparence de légalité tous ses sujets fidèles, et de donner aux troupes étrangères un droit d’intervention incontesté. Un trône, même en débris, ne veut pas être partagé.

Une jalousie inquiète veillait encore au milieu de tant d’autres terreurs, dans ce palais où la sédition avait déjà ouvert tant de brèches. « M. le comte d’Artois sera donc un héros ! » disait ironiquement la reine, qui haïssait aujourd’hui ce jeune prince. Le roi, de son côté, craignait cette déchéance morale dont on le menaçait, sous prétexte de délivrer la monarchie. De ses amis ou de ses ennemis, il ne savait lesquels il devait redouter davantage. La fuite seule, au milieu d’une armée fidèle, pouvait le soustraire aux uns et aux autres ; mais la fuite elle-même était un péril. Si elle réussissait, la guerre civile pouvait en sortir, et le roi avait horreur du sang versé pour sa cause ; si elle ne réussissait pas, elle lui serait imputée à crime ; et qui pourrait dire où s’arrêterait la fureur de la nation ? La déchéance, la captivité et la mort pouvaient être la conséquence du moindre accident ou de la moindre indiscrétion. Il allait suspendre à un fil fragile son trône, sa liberté, sa vie, et les vies mille fois plus chères, pour lui, de sa femme et de ses deux enfants et de sa sœur.

Ses angoisses furent longues et terribles, elles durèrent