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mandée encore par des officiers qu’on soupçonnait d’aristocratie, une population flottante d’étrangers, d’aventuriers, de matelots, accessible par sa masse et par ses vices à toutes les corruptions et à tous les crimes, rendaient cette ville plus agitée et plus inquiète qu’aucun autre port du royaume. Les clubs ne cessaient pas d’y provoquer les marins à l’insurrection contre leurs officiers. Les révolutionnaires se défiaient de la marine, corps plus indépendant que l’armée des mouvements du peuple. La cour pouvait la déplacer à son gré et tourner ses canons contre la constitution. L’esprit de discipline, l’esprit aristocratique et l’esprit colonial étaient tous également contraires aux principes nouveaux. C’était donc vers la désorganisation de la flotte que se tournaient depuis quelque temps tous les efforts des Jacobins. La nomination de M. de Lajaille au commandement d’un des vaisseaux destinés à porter des secours à Saint-Domingue fit éclater ces soupçons semés dans le peuple de Brest contre la fidélité des officiers de marine. M. de Lajaille fut désigné par la voix des clubs comme un traître à la nation, qui allait porter la contre-révolution aux colonies. Assailli au moment où il allait s’embarquer par un attroupement de trois mille personnes, il fut couvert de blessures, traîné sanglant sur le pavé des rues, et ne dut la vie qu’au dévouement héroïque d’un homme du peuple, qui le couvrit de son corps, l’arracha à ses assassins et para de sa poitrine et de ses bras les coups qu’on portait à cet officier, jusqu’au moment où un détachement de la garde civique vint les délivrer l’un et l’autre. M. de Lajaille fut traîné en prison pour satisfaire à la fureur du peuple. En vain le roi donna ordre à la municipalité de Brest de délivrer cet officier innocent et nécessaire