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ne se donna. Il lui parut beau de s’immoler au bonheur d’un homme de bien : mais elle accomplit ce sacrifice avec tout le sérieux de la raison et sans aucun enthousiasme de cœur. Son mariage fut pour elle un acte de vertu, dont elle jouit non parce qu’il était doux, mais parce qu’il lui parut sublime.

L’élève passionnée de Jean-Jacques Rousseau se retrouve à cette époque décisive de son existence. Le mariage de madame Roland est une imitation évidente de celui d’Héloïse épousant M. de Volmar. Mais l’amertume de la réalité ne tarde pas à percer sous l’héroïsme de son dévouement. « À force, dit-elle elle-même, de m’occuper de la félicité de l’homme à qui je m’associai, je m’aperçus qu’il manquait quelque chose à la mienne. Je n’ai pas cessé un seul instant de voir dans mon mari un des hommes les plus estimables qui existent et auquel je pouvais m’honorer d’appartenir ; mais j’ai senti souvent qu’il manquait entre nous de parité, que l’ascendant d’un caractère dominateur, joint à celui de vingt années de plus que mon âge, rendait de trop une de ces deux supériorités. Si nous vivions dans la solitude, j’avais des heures quelquefois pénibles à passer. Si nous allions dans le monde, j’y étais aimée de gens dont je m’apercevais que quelques-uns pourraient trop me toucher. Je me plongeai dans le travail de mon mari, je me fis son copiste, son correcteur d’épreuves ; j’en remplissais la tâche avec une humilité sans murmures qui contrastait avec un esprit aussi libre et aussi exercé que le mien. Mais cette humilité coulait de mon cœur. Je respectais tant mon mari, que j’aimais à supposer toujours qu’il était supérieur à moi ; j’avais si peur d’une ombre sur son visage, il tenait tant à ses opinions, que je n’ai acquis que bien tard la force de