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du roi ; s’il n’avait pas reconnu ce prince à sa ressemblance avec l’empreinte de son visage sur les assignats, s’il n’avait pas couru à toute bride et devancé les voitures à Varennes, en deux heures le roi et sa famille étaient sauvés. Drouet, ce fils obscur d’un maître de poste, debout et oisif le soir devant la porte d’un village, décide du sort d’une monarchie. Il ne prend conseil que de lui-même, il part et il dit : « J’arrêterai le roi. » Mais Drouet n’aurait pas eu cet instinct décisif s’il n’eût, pour ainsi dire, personnifié en lui, dans ce moment-là, toute l’agitation et tous les soupçons du peuple. C’est le fanatisme de la patrie qui le pousse, à son insu, vers Varennes, et qui lui fait sacrifier toute une malheureuse famille de fugitifs à ce qu’il croit le salut de la nation. Il n’avait reçu de consigne de personne ; il prit l’arrestation et, par suite, la mort sur lui seul.

Quant au roi lui-même, cette fuite était pour lui au moins une faute. C’était trop tôt ou c’était trop tard. Trop tard, car le roi avait déjà trop sanctionné la Révolution pour se tourner tout à coup contre elle sans trahir cette cause et se démentir lui-même. Trop tôt, car la constitution que faisait l’Assemblée nationale n’était pas encore achevée, le gouvernement n’était pas convaincu d’impuissance, et les jours du roi et de sa famille n’étaient pas encore assez évidemment menacés pour que le soin de sa sûreté comme homme l’emportât sur ses devoirs comme roi. En cas de succès, Louis XVI ne trouvait que des forces étrangères pour recouvrer son royaume ; en cas d’arrestation, il ne trouvait plus qu’une prison dans son palais. De quelque côté qu’on l’envisageât, la fuite était donc funeste. C’était la route de la honte ou la route de l’échafaud. Il n’y a qu’une route pour fuir d’un trône quand on n’y veut pas mourir : c’est