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M. de La Fayette courait avec des imprécations sur les lèvres : « Est-il stupide ? Est-il complice ? Comment l’évasion de tant de personnes royales, à travers tant de détours, de guichets, de sentinelles, a-t-elle pu s’accomplir sans connivence ? » On forçait les portes pour visiter les appartements. Le peuple en parcourait tous les secrets. Partagé entre la stupeur et l’insulte, il se vengeait sur les objets inanimés du long respect qu’il avait porté à ces demeures. Il passait de la terreur à la risée. On décrochait un portrait du roi de la chambre à coucher, et on le suspendait, comme un meuble à vendre, à la porte du château. Une fruitière prenait possession du lit de la reine pour y vendre des cerises, en disant : « C’est aujourd’hui le tour de la nation de se mettre à son aise. » On voulut coiffer une jeune fille d’un bonnet de la reine ; elle se récria que son front en serait souillé, et le foula aux pieds avec indignation. On entra dans le cabinet d’études du jeune Dauphin : là, le peuple fut attendri et respecta les livres, les cartes, les instruments de travail de l’enfant-roi. Les rues, les places publiques, étaient encombrées de foule. Les gardes nationales se rassemblaient, le tambour battait le rappel, le canon d’alarme tonnait de minute en minute. Les hommes à piques et à bonnets de laine, origine du bonnet rouge, reparaissaient et éclipsaient les uniformes. Le brasseur Santerre, agitateur des faubourgs, enrôlait à lui seul deux mille piques. La colère du peuple commençait à dominer sur sa terreur : elle éclatait en paroles cyniques et en actes injurieux contre la royauté. À la Grève on mutilait le buste de Louis XVI, placé sous la sinistre lanterne qui avait servi d’instrument aux premiers crimes de la Révolution. « Quand donc, s’écriaient les démagogues, le peuple se fera-t-il justice de tous ces rois de