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Un officier égyptien frappa un soldat turc ; les janissaires renversent leurs marmites. Le sultan, instruit et prêt à tout, était avec ses principaux conseillers dans un de ses jardins, à Beschiktasch, sur le Bosphore. Il accourt au sérail, prend l’étendard sacré de Mahomet. Le muphti et les ulémas, réunis autour de l’étendard sacré, prononcent l’abolition des janissaires. Les troupes régulières et les fidèles musulmans s’arment et se rassemblent à la voix du sultan ; lui-même s’avance à cheval à la tête des troupes du sérail. Les janissaires, réunis sur l’Atméidan, le respectent ; il traverse plusieurs fois leur foule mutinée, seul, à cheval, risquant mille morts, mais animé de ce courage surnaturel qu’inspire une résolution décisive. Ce jour-là doit être le dernier de sa vie, ou le premier de son affranchissement et de sa puissance. Les janissaires, sourds à sa voix, se refusent à reprendre leurs agas ; ils accourent de tous les points de la capitale, au nombre de quarante mille hommes. Les troupes fidèles du sultan, les canonniers et les bostangis, occupent les débouchés des rues voisines de l’hippodrome. Le sultan ordonne le feu : les canonniers hésitent ; un officier déterminé, Kara-Djehennem, court à un des canons, tire son pistolet sur l’amorce de la pièce, et couche à terre, sous la mitraille, les premiers groupes des janissaires : les janissaires reculent ; le canon laboure en tout sens la place ; l’incendie dévore les casernes ; prisonniers dans cet étroit espace, des milliers d’hommes périssent sous les pans de murs écroulés, sous la mitraille et dans les flammes : l’exécution commence, et ne s’arrête qu’au dernier des janissaires. Cent vingt mille hommes, dans la capitale seulement, enrôlés dans ce corps, sont la proie de la fureur du peuple et du sultan. Les eaux du Bosphore roulent leurs cadavres à la