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Il a, pour exhaler ses accords éclatants,
Aux verbes d’ici-bas renoncé dès longtemps ;
Il ferait éclater leurs fragiles symboles,
Il entre-choquerait des foudres de paroles,
Et les enfants diraient, en secouant leurs fronts :
« Qu’il nous parle plus bas, Seigneur ! ou nous mourrons ! »

Il ne leur parle plus ; il se parle à lui-même,
Dans la langue sans mots, dans le verbe suprême,
Qu’aucune main de chair n’aura jamais écrit,
Que l’âme parle à l’âme et l’esprit à l’esprit !
Des langages humains perdant toute habitude,
Seul, il console ainsi sa morne solitude !
Au dedans de moi-même il gronde incessamment,
Comme une mer de bruit toujours en mouvement ;
Il fait battre à grands coups mes tempes dans ma tête ;
Avec le son perçant du vol de la tempête ;
Il retentit en moi comme un torrent de nuit,
Dont chaque flot emporte et rapporte le bruit,
Comme le contre-coup des foudres de montagnes,
Que mille échos tonnants répètent aux campagnes ;
Comme la voix d’airain de ces lourds vents d’hiver,
Qui tombent comme un poids du Liban sur la mer,
Ou comme ces grands chocs, quand sur un cap qui fume
Elle monte en colline et retombe en écume :
Voilà les seules voix, voilà les seuls accents
Qui peuvent aujourd’hui chanter ce que je sens !

N’attends donc plus de moi ces vers où la pensée,
Comme d’un arc sonore avec grâce élancée,
Et sur deux mots pareils vibrant à l’unisson,
Danse complaisamment aux caprices du son !
Ce froid écho des vers répugne à mon oreille ;
Et si du temps passé le souvenir m’éveille ;