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19 juillet 1832.


Nous nous réveillons à vingt-cinq lieues de la côte d’Afrique. Je relis l’histoire de saint Louis, pour me rappeler les circonstances de sa mort sur la plage de Tunis, près du cap de Carthage, que nous devons voir ce soir ou demain.

Je ne savais pas dans ma jeunesse pourquoi certains peuples m’inspiraient une antipathie pour ainsi dire innée, tandis que d’autres m’attiraient et me ramenaient sans cesse à leur histoire par un attrait irréfléchi. — J’éprouvais pour ces vaines ombres du passé, pour ces mémoires mortes des nations, exactement ce que j’éprouve avec un irrésistible empire pour ou contre les physionomies des hommes avec lesquels je vis ou je passe. — J’aime ou j’abhorre, dans l’acception physique du mot ; à première vue, en un clin d’œil, j’ai jugé un homme ou une femme pour jamais. — La raison, la réflexion, la violence même, tentées souvent par moi contre ces premières impressions, n’y peuvent rien. — Quand le bronze a reçu son empreinte du balancier, vous avez beau le tourner et le retourner dans vos doigts, il la garde ; — ainsi de mon âme, — ainsi de mon esprit. — C’est le propre des êtres chez lesquels l’instinct est prompt, fort, instantané, inflexible. On se demande : Qu’est-ce que l’instinct ? et l’on reconnaît que c’est la raison suprême ; mais la raison innée, la raison non raisonnée, la raison telle